» La dentelle est une écriture blanche, lisible seulement lorsqu’il y a de la peau en-dessous … » John BERGER (Écrivain britannique, romancier, nouvelliste, peintre, critique d’art -Extrait de son livre Le carnet de Bento)
« Composer de la dentelle c’est composer de la poésie en fil de lin. » Jean ANGLADE (Écrivain et traducteur français- Extrait de son livre Les délices d’Alexandrine )
« De toutes les manifestations du génie inventif, aucune n’a jamais, comme la dentelle, pu s’élever au rang d’une grande manufacture qui mobilise des milliers d’ouvrières et de marchands, suscitant la rivalité entre les États, alertant les économistes et les ministres, allant jusqu’à rompre, dans certains pays, l’équilibre des finances publiques, provoquant la fortune des entrepreneurs et la ruine de ceux qui, assoiffés de luxe, « portaient leurs moulins et leurs terres sur les épaules ». Adulée, critiquée, copiée, fraudée, troquée, déchirée par la guerre, ressuscitée par la paix, la dentelle a traversé trois siècles avec cette assurance fragile dont elle conserve le secret. » Marie RISSELIN-STEENEBRUGEN (Conservateur aux Musées royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles)

» Invention de déesses et occupation de reine « disait le dessinateur de modèles l’italien Vinciolo. Mais si la dentelle a, peut-être, été à l’origine un passe-temps de grande dame, elle a vite donné naissance à un métier, celui de centaines de milliers de femmes et d’enfants.
Jules Simon, ministre de l’Instruction publique, écrivait en 1868 : « L’aiguille est jusqu’ici l’outil féminin par excellence, plus de la moitié des femmes qui vivent de leur travail sont armées d’un dé et d’une aiguille » . On pourrait rajouter : et de fuseaux ! Mais aussi (petite précision en passant) que dans le cas des dentellières le dé est inutile. Vous ne verrez jamais une vélineuse d’Alençon avec cet instrument au doigt.

Depuis les temps les plus reculés, depuis l’invention du point, il en est ainsi. Elles vinrent de partout ces mains toujours diligentes, savantes, parfois géniales, poussées vers l’aiguille ou les fuseaux. Jules Simon disait encore : « la dentelle est l’une des rares victoires du travail à la main sur le travail à la mécanique. Et c’est un joli travail qui donne des instincts d’élégance à celles qui s’en occupent, et qui contribue à la fois à l’aisance de la famille, à la propreté et à l’agrément de la maison. »
Mais ce ministre ajoutait aussitôt en parlant des ouvrières des villes : » élevées pour être dentellières, ces femmes ne savent pas faire autre chose; Aussi ne quittent-elles momentanément leur métier que pour se livrer à des habitudes de dissipations. Leurs fréquents besoin d’argent les obligent à couper un bout de dentelle pour essayer de le vendre, ce qui en diminue la valeur parce que les marchands préfèrent les grands ouvrages. La propreté et la blancheur de leur dentelle entrent pour beaucoup dans son prix. C’est un ouvrage si délicat que l’haleine de l’ouvrière peut en diminuer la valeur, de sorte qu’il faut avoir de la santé pour faire de la belle dentelle. »

S’en suivait la liste des maladies propres à ce métier : baisse progressive de la vue menant à une cécité complète, affections des yeux dues non seulement à trop d’heures de travail consécutives sous de mauvais éclairages, ou bien encore aux poussières du blanc de plomb destiné à blanchir les dentelles une fois l’ouvrage fini. Sels de plomb qui déterminaient aussi une véritable intoxication des voies respiratoires et digestives.
Ma vieille carte postale qui montre des paysannes assises devant leur porte, auréolées de coiffes blanches, souriant dans le soleil, fières du long ruban de dentelle coulant du coussin hérissé de fuseaux, c’est aussi cela la dentellière. Et c’est aussi l’artiste géniale, la diva du fil qui tresse des splendeurs. Mais il est aussi sur que la dentelle ne pouvait être que l’œuvre d’une classe sociale sacrifiée, mal payée ( cinquante centimes à deux francs par jour selon le talent et la célérité) et contraintes à des horaires déments.
Le travail se faisait soit dans les ateliers, soit à domicile (qui était le cas le plus fréquent). Entièrement dépendante de la mode et de l’humeur des femmes, la dentelle, tantôt auréolée de belles épaules, tantôt dormant dans des cartons, des milliers d’heures de travail devenant alors ces fameux rossignols qu’il fallait solder. Aussi, malgré la réputation qu’on lui fit de s’enrichir de la pâleur, du rachitisme, des toux et des cécités de ses ouvrières, il ne fut pas toujours facile, lui non plus, le métier de fabricant dentellier. » Janine MONTUPET & Ghislaine SCHÖELLER (Romancières française / Extrait de leur livre Fabuleuses dentelles)







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