» Membre de la famille des cucurbitacées, le melon (Cucumis melo) est proche parent du concombre (Cucumis sativus) et plus éloigné de la pastèque (Citrullus lanatus). Il est relativement facile de différencier sur les étalages en France ces trois espèces, en particulier la pastèque avec les graines réparties dans la chair et non regroupées dans une cavité centrale. Cependant, au cours de voyages à l’étranger, on peut avoir quelques difficultés à s’y reconnaître. Par ailleurs, les documents anciens ne permettent pas toujours de distinguer ces trois espèces. C’est dans un petit voyage dans le temps et dans l’espace que nous vous convions autour de la diversité biologique du melon.

Cette grande diversité et les ressemblances des « melons légumes » avec le concombre ou des « melons fruits » avec la pastèque entraînent des incertitudes sur l’histoire ancienne du melon. Par exemple les Hébreux qui errent dans le désert du Sinaï après la fuite d’Egypte se lamentent en ces termes « Ah ! quel souvenir ! le poisson que nous mangions pour rien en Egypte, les concombres, les melons, les laitues, les oignons et l’ail ! maintenant, nous dépérissons, privés de tout »  ; on pense maintenant que les « concombres » sont en fait des melons non sucrés et les « melons » seraient plutôt des pastèques. Les textes doivent donc être interprétés avec précaution. L’iconographie est peut-être moins sujette à caution.

Claude MONET

Les plus anciennes représentations proviennent de pyramides égyptiennes Des offrandes en terre cuite datées du VIème siècle av J.C. ont été trouvées dans un temple du sud de l’Italie. Des mosaïques romaines représentent également des melons serpents. Pline l’Ancien nous apprend que l’empereur Tibère aimait manger des concombres toute l’année (Livre XIX). Dans tous ces cas, il s’agit de type de melon non sucré de forme allongée de type chate ou flexuosus qui dans les textes sont dénommés sikyos en grec, cucumis en latin ou qishu’im en hébreu.

Le Capitulaire De villis vel curtis imperialibus daté de 812 sous Charlemagne recommande un certain nombre de plantes qui doivent être cultivées dans les jardins royaux parmi lesquelles des cucumeres et des pepones ; les premiers pourraient correspondre à des concombres et les seconds à des melons non sucrés. Les melons serpents sont encore largement évoqués par Olivier de Serres (1600) « Autre race de concombres que de la commune, se void non sans esbahissement, pour son estrange figure, ressemblante celle du serpent autant naïfvement qu’on diroit que Nature a voulu là refaire son propre ouvrage. Ces concombres croissent entortillés de la longueur de quatre à cinq pieds, et davantage… ». Aujourd’hui ces melons non sucrés ont pratiquement disparu en France, mais ils sont encore cultivés en Italie et du Maghreb à l’Inde et à l’Extrême-Orient.

Les melons non sucrés ont donc été largement cultivés les premiers, mais qu’en est-il des melons sucrés ? La distinction avec la pastèque est souvent difficile. Pline l’Ancien indique : « Au moment où j’écris, on vient d’en obtenir en Campanie une variété qui a la forme d’un coing : on m’apprend qu’un premier individu naquit ainsi par hasard, ensuite que la graine en a fait une espèce ; on nomme ces concombres melopepons ; ils ne sont pas suspendus, mais ils s’arrondissent sur le sol. Ce qu’ils offrent de singulier, outre la figure, la couleur et l’odeur, c’est que, devenus mûrs, ils se séparent de leur queue, bien qu’ils ne soient pas suspendus ». Il s’agit là probablement d’un melon sucré ; en effet, la pastèque est d’une part peu aromatique et d’autre part le fruit ne se détache pas du pédoncule à maturité.

Félix VALLOTTON

Cependant ces melons sucrés ne devaient pas être excellents car les gourmets romains ne leur accordent pas beaucoup de place dans leurs écrits. Une littérature assez abondante à partir des IX-Xème siècle en Asie Centrale indique la présence de melons sucrés. En Andalousie, Abu al-Khayr (vers 1100) et Ibn al-‘Awwam (vers 1180) décrivent plusieurs types de melon sucrés et non sucrés. Les voies commerciales allant du sous-continent indien à la mer Rouge par cabotage, puis, après un court passage sur terre à Suez, à nouveau cabotage en Méditerranée étaient utilisées depuis l’époque romaine et les Arabes les ont beaucoup pratiquées. Les melons sucrés peuvent avoir été introduits en Andalousie à partir de l’Asie centrale par cette voie. D’après les descriptions de Ibn al-‘Awwam et les types de melon cultivés aujourd’hui dans la péninsule ibérique, il pourrait s’agir essentiellement de type inodorus c’est-à-dire de melons sucrés et peu aromatiques comme les canaris, boule d’or, olive d’hiver.

Le type de melon le plus cultivé en France depuis la seconde moitié du XXème siècle est le melon de Cavaillon ou Charentais : fruit rond, d’un kilogramme environ, précoce, à chair orange, sillonné, sucré et parfumé. Il ne s’agit pas du melon cultivé traditionnellement en Provence dont on peut voir des illustrations par exemple sur des cartes postales du marché de Cavaillon à la fin du XIXème siècle. Il n’est pas décrit sous ce nom dans « le Vilmorin », ouvrage de référence ; cependant la description de la variété « melon de 28 jours » s’en rapproche. Il semblerait en fait qu’un jeune agriculteur de la région de Cavaillon soit allé faire son service militaire dans les Charentes vers les années 1920, qu’il ait remarqué une variété locale et qu’il ait rapporté des graines dans sa ville d’origine. Ce melon s’est bien adapté et a été adopté d’abord par les producteurs de la région de Cavaillon puis de la France entière, d’où le « melon charentais de Cavaillon ».  » Michel PITRAT (Directeur de recherche à l’INRA Avignon, membre du comité de rédaction de Jardins de France, écrivain français d’ouvrages sur les légumes et les fruits)

Jeanne Marie Joséphine HELLEMANS

 » Quelle odeur sens-je en cette chambre ?
Quel doux parfum de musc et d’ambre
Me vient le cerveau réjouir
Et tout le cœur épanouir ?
Ha ! bon Dieu ! j’en tombe en extase :
Ces belles fleurs qui, dans ce vase,
Parent le haut de ce buffet,
Feraient-elles bien cet effet ?
A-t-on brûlé de la pastille ?
N’est-ce point ce vin qui pétille
Dans le cristal, que l’art humain
A fait pour couronner la main
Et d’où sort, quand on en veut boire,
Un air de framboise à la gloire
Du bon terroir qui l’a porté
Pour notre éternelle santé ?

Non, ce n’est rien d’entre ces choses,
Mon penser, que tu me proposes.
Qu’est-ce donc ? je l’ai découvert
Dans ce panier rempli de vert :
C’est un melon, où la nature,
Par une admirable structure,
A voulu graver à l’entour
Mille plaisants chiffres d’amour,
Pour claire marque à tout le monde
Que, d’une amitié sans seconde,
Elle chérit ce doux manger
Et que, d’un souci ménager,
Travaillant aux biens de la terre,
Dans ce beau fruit seul elle enserre
Toutes les aimables vertus
Dont les autres sont revêtus.

… Ha ! Soutenez-moi, je me pâme,
Ce morceau me chatouille l’âme ;
Il rend une douce liqueur
Qui me va confire le coeur ;
Mon appétit se rassasie
De pure et nouvelle ambroisie,
Et mes sens, par le goût séduits,
Au nombre d’un sont tous réduits.

Non, le coco, fruit délectable
Qui lui tout seul fournit la table
De tous les mets que le désir
Puisse imaginer et choisir,
Ni les baisers d’une maîtresse
Quand elle-même nous caresse,
Ni ce qu’on tire des roseaux
Que Crète nourrit dans ses eaux,
Ni le cher abricot que j’aime,
Ni la fraise avec la crème,
Ni la manne qui vient du ciel,
Ni le pur aliment du miel,
Ni la poire de Tours sacrée,
Ni la verte figue sucrée,
Ni la prune au jus délicat,
Ni même le raisin muscat
(Parole pour moi bien étrange),
Ne sont qu’amertume et que fange
Au prix de ce melon divin,
Honneur du climat angevin.

… Ô manger précieux ! Délices de la bouche !
Ô doux reptile herbu, rampant sur une couche !
Ô beaucoup mieux que l’or, chef-d’œuvre d’Apollon !

Ô fleur de tous les fruits ! Ô ravissant Melon !
Les hommes de la Cour seront gens de parole,
Les bordels de Rouen seront francs de vérole,
Sans vermine et sans gale on verra les pédants,
Les preneurs de pétun auront de belles dents,
Les femmes des badauds ne seront plus coquettes,
Les corps pleins de santé se plairont aux cliquettes,
Les amoureux transis ne seront plus jaloux,
Les paisibles bourgeois hanteront les filous,
Les meilleurs cabarets deviendront solitaires,
Les chantres du Pont-neuf diront de hauts mystères,
Les pauvres quinze-vingt vaudront trois cents Argus,
Les esprits doux du temps paraîtront fort aigus,
Maillet fera des vers aussi bien que Malherbe,
Je haïrai Faret, qui se rendra superbe,
Pour amasser des biens, avare je serai,
Pour devenir plus grand, mon cœur j’abaisserai.
Bref, Ô melon sucrin, pour t’accabler de gloire,
Des faveurs de Margot je perdrai la mémoire.
Avant que je t’oublie et que ton goût charmant
Soit biffé des cahiers du bon gros Saint Amant .
 » Marc-Antoine GIRARD DE SAINT AMANT 1594/1661 (Poète français / Extraits du poème Le melon –Recueil Œuvres complètes de Saint Amant – Par le linguiste français Louis LEVRET / 1855 )

Bartolomé Esteban MURILLO

2 réponses à « Histoire de melon … »

  1. Dumas, père a échangé une collection de son œuvre complet pour la bibliothèque de Cavaillon contre 12 melons par an venant du Vaucluse !

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    1. Avatar de Lisa Pascaretti
      Lisa Pascaretti

      C’est tout à fait exact et je vous remercie d’avoir rappelé cette histoire cher Justin. On peut même dire qu’il était fasciné par ce fruit savoureux – « Je n’ai qu’un désir à émettre, c’est que mes livres aient toujours pour les Cavaillonnais le même charme que leurs melons ont pour moi. » C’est assez incroyable! ♥

      Aimé par 2 personnes

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