
Si vous avez envie de vous plonger dans l’univers merveilleux, poétique, malicieux, réaliste, unique, captivant, créatif et espiègle, entre rêve et réalité, du photographe Robert Doisneau je vous conseille de vous rendre au Musée Maillol où une rétrospective de 400 clichés (sur les 450.000 de sa collection) vous est proposée en collaboration étroite avec ses deux filles Annette Doisneau et Francine Deroudille (fondatrices de l’Atelier Robert Doisneau ) , et l’agence belge Tempora . Ces dernières souhaitaient faire découvrir leur père sous un œil nouveau, plus complet aussi.
» Un photographe doit être un buvard pénétré par la poésie du moment » R.D.
J’ai employé, entre autres, l’adjectif merveilleux et poétique car il est vrai que ces clichés sont des témoignages magnifiques d’une époque passée, révolue, transformée désormais, et que l’on a toujours un immense plaisir à regarder.
L’exposition s’intitule : Robert DOISNEAU / Instants donnés … Jusqu’au 12 octobre 2025. Je pense que tout le monde connait ce photographe, ne serait-ce que grâce à son très célèbre Baiser de l’hôtel de ville , mais aussi La dernière valse, ou le Manège sous la pluie. Sans oublier qu’il a travaillé pour des photos publicitaires, des photos de mode nées de sa collaboration avec le magazine Vogue, Life , Match, Fortune, Le Point, New York Times, Excelsior, Nouvel Observateur etc etc … et des portraits d’artistes dans leur atelier à savoir César, Braque, Picasso, Utrillo, Giacometti, Tinguely, Le Corbusier , Niki de Saint Phalle et tant d’autres !…



Il fut un autodidacte de la photographie, n’ayant, de base, jamais suivi de cours dans une école. A l’époque où il découvre la photo, c’était un médium tout à fait nouveau et pour lequel il va avoir un véritable coup de foudre. Il s’offre alors un Rolleiflex, appareil révolutionnaire de l’époque, qui restera son véritable moyen d’expression durant de longues années. Après quoi, d’autres suivront.
La photo fut une réelle passion et outre son métier, il s’est beaucoup investi auprès de l’ANPR (Association nationale des photographes-reporters) pour que soit reconnu le statut de photographe, pour l’obtention d’améliorations dans ce travail comme le droit à la signature des clichés, ainsi que le droit à des rémunérations meilleures qu’elles ne l’étaient alors.



L’œuvre de Doisneau est également très attachée à Paris et sa banlieue, en noir et blanc pour la plupart, mais aussi en couleur plus tard. Il y a aussi l’enfance insouciante et heureuse, les bistrots, la campagne, les jardins, le bal musette, les ouvriers au travail, les mineurs, marchands ambulants, les personnalités rencontrées tout au long de sa carrière . Une œuvre engagée, avec un intérêt porté sur l’être humain et son quotidien, toujours avec un œil bienveillant, de la tendresse, de l’insouciance et parfois même une point d’ironie qui fait sourire.




De belles rencontres se sont faites au cours de sa carrière, certaines ont laissé la place à de grandes amitiés : Jacques Prévert, Maurice Baquet, Henri Cartier-Bresson, Blaise Cendars, Raymond Grosset de l’agence Rapho, Jacques Dubois, Michel de Brunhoff, Sabine Azéma …
J’ai nommé Jacques Prévert. Doisneau et lui se sont vraiment très bien entendus et ont partagé une sincère amitié depuis leur rencontre en 1947. Tous deux ont éprouvé un grand amour pour Paris et se sont souvent promenés ensemble dans des quartiers populaires, sur les quais de Seine, à Saint-Germain-des Près- Il dira qu’il aimait l’élégance de Jacques Prévert, faite de cette allégresse légère que l’on retrouve dans sa façon de faire danser les mots. » Ce à quoi Prévert répondra par » Le poète et le photographe ont la complicité du gibier et du braconnier. C’est toujours à l’imparfait de l’objectif que tu conjugues le verbe photographier »

Grande complicité avec Maurice Baquet, acteur de cinéma et de théâtre, violoncelliste à ses heures . Doisneau dira qu’il fut pour lui son professeur de bonheur, l’homme avec le plus insolent appétit de bonheur que j’avais rencontré, tant sa fantaisie et sa légèreté étaient communicatives.

On a dit que Doisneau fut un grand observateur, très curieux . Un homme avec un sens aigu de la solidarité, d’une réelle et sincère gentillesse. Ses clichés lui ressemblent : touchants, amusants, nostalgiques.
» Sa bonté profonde, l’amour des êtres et d’une vie modeste, est pour toujours dans son œuvre. » Henri CARTIER-BRESSON
Il a aimé la simplicité de la vie ordinaire, sa gravité aussi, et fut capable d’une incroyable patience, passant des heures à observer un sujet afin de capter l’instant magique, la porte ouverte à l’inattendu » , un instant important, fugace, où se raconte, en peu de temps, une histoire. Il n’y a pas eu , chez lui, l’envie de » faire sensation » mais une grande aptitude à pouvoir comprendre la misère des autres, à s’identifier à eux et surtout tenter de leur redonner de la dignité au travers de ses photos.
“Un centième de seconde par ci, un centième de seconde par là mis bout à bout, cela ne fait jamais qu’une, deux, trois secondes chipées à l’éternité” R.D
» Savoir ce que c’est d’avoir froid, ou de ne pas avoir à bouffer, cela vous conditionne dans le choix de vos sujets. C’est bien de garder une sorte de fraternité. C’est simplement parce que l’on est sensible soi-même. » … R.D.


J’ai mentionné » photographe engagé » dans le sens où il a mis tout son savoir et ses compétences photographiques au service de la Résistance , notamment dans la fabrication de faux-papiers et la protection des personnes persécutées durant la seconde guerre mondiale. Il a, également, fait partager le quotidien des français durant ces moments difficiles. En témoignage de leur reconnaissance, il sera un des rares, voire peut-être même le seul à qui la Résistance permettra de photographier la libération de Paris.

On l’a surnommé » le chroniqueur du réel » » le poète de l’instant » « le flâneur invétéré » . Soixante ans de carrière jalonnés de commandes diverses et variées, de travaux réalisés à titre personnel aussi. Non seulement il s’est « raconté » par la photo, mais il l’a fait également avec la plume dans des livres où il s’est largement confié sur son métier.
Doisneau a incontestablement gardé une âme d’enfant, de la sienne s’amusant sur les trottoirs ou les terrains vagues et il est revenu sur ce thème , affirmant qu’effectivement c’était un peu comme des autoportraits, photographiant beaucoup d’enfants insouciants s’amusant, l’école avec la cour, les préaux, les classes.






Il est né en banlieue parisienne à Gentilly en 1912. Son père était comptable-métreur et sa mère femme au foyer. Elle mourra de la tuberculose lorsqu’il avait 7 ans. Son père se remariera 3 ans après. Son enfance sera solitaire, faite de promenades dans la nature, à la campagne chez ses grands-parents d’abord, puis dans les rues de Paris par la suite.
Études de gravure et lithographie à l’École d’art Estienne de Paris, et débuts dans la photographie publicitaire. En 1931, il rencontre Pierrette Chaumaison qu’il épousera trois ans plus tard. Deux filles naitront de cette union Annette en 1942 et Francine en 1947. Il arpente les rues de Paris, de la banlieue, et vend ses premiers reportages-photos .
En 1934 il obtient un emploi de photographe industriel dit « balladeur » chez Renault. Il s’agit de photographier à l’intérieur et à l’extérieur de l’usine, montrer les installations nouvelles industrielles, les nouveaux modèles, les chantiers de l’usine de Boulogne-Billancourt etc.. Sur place, il assiste aux grèves de 1936, aux luttes syndicalistes ouvrières, aux conflits avec la direction etc…Il se montre vivement intéressé par le mouvement du Font populaire et les idées communistes.


En 1939 il intègre l’Agence de photojournalisme Rapho où il rencontre Willy Ronis et Brassaï. La seconde guerre mondiale éclate, il est d’abord mobilisé comme chasseur à pied, observateur téléphoniste, puis sera réformé. C’est là qu’il se met en contact avec la Résistance et commence, grâce à ses connaissance en gravure, la fabrication de faux-papiers. Parallèlement, il continue ses photos de la vie quotidienne des français, dans les rues de Paris durant l’occupation allemande.

En 1949, il signe un contrat d’exclusivité avec le magazine Vogue qui va durer officiellement jusqu’en 1952, mais la collaboration continuera une bonne dizaine d’années encore. Il s’agissait de commande ayant pour but de se rendre dans l’intimité des ateliers d’artistes très connus et célèbres et faire des reportages-photos. Il dira l’avoir fait avec beaucoup de discrétion et e façon très touchante : » je les regarde assis dans mon coin, observant leurs gestes. Je crois avoir percé le sens de quelques-unes de leurs manigances … «
La notoriété viendra après la guerre. Ses clichés de la vie » d’après guerre » , de la reconstruction, et de la joie de vivre peu à peu retrouvée, plaisent beaucoup. Il a le don de » l’instant » (lui dira qu’il sait chiper ! ) , des photos où l’on ne pose pas, naturelles. Il recevra le prix du meilleur photographe en 1947, sera embauché, comme je l’ai dit ci-dessus, par le magazine Vogue en 1949, puis Life , et commence une participation à des expositions dans les musées.
Restant indépendant malgré ses contrats, il a continue, pour son plus grand plaisir, ses photos personnes, celles qu’il préférait, à savoir issues de ses ballades dans Paris, de ses rencontres avec des gens ordinaires et simples comme il les aimait.
Il décède le Ier avril 1994 à Paris, quelques mois après son épouse. Il sera enterré, auprès d’elle, au cimetière de Raizeux. C’est dans cette commune qu’il venait enfant, chez ses grands-parents qui l’accueillaient régulièrement après la mort de sa mère ; là qu’il a rencontré son épouse, là qu’étaient ses racines, là où il revenait se poser souvent jusqu’à la fin de sa vie.
« Pour un photographe le temps est la chose la plus sacrée, la plus redoutable. La photographie est un art funéraire. » R.D.
J’ai parlé, en début de cet article des filles du photographe, Francine et Annette qui ont transformé l’appartement familial en Atelier Robert Doisneau. Ce sont elles, depuis 20 ans, qui veillent scrupuleusement sur l’héritage photographique de leur père, à savoir environ 450.000 clichés. Elles avouent, en travaillant encore et encore sur les archives, négatifs et documents de leur père, le redécouvrir, encore aujourd’hui. Les photos de l’expo et de cet article font partie de l’héritage de cet atelier.








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