» Chardin habitait chez ses parents quand il peignit La Blanchisseuse . La vie d’une servante était dure, implacable. Chardin ne sublime pas le travail en lui-même, mais en montrant les femmes dans une lumière chaude et, pour celle qui pend le linge, diffuse et douce, il rend leur existence moins rude qu’elle ne l’était sans aucun doute.
La cuvette posée sur le sol est en argile vernissée. Derrière se dresse une chaise en bois grossier à siège paillé ; les planches du baquet à lessive sont maintenues par des liens d’osier fondu. Chardin a soigneusement étudié les objets utilitaires. Il accorde aussi de l’importance à ceux qui se trouvent dans la périphérie où dans la pénombre. Les objets simples et bon marché, que Chardin a fixé sur la toile, étaient sans doute utilisés dans la maison du peintre.
Dans la buanderie obscure, le tablier de la jeune femme, sa coiffe, son front, ainsi que le linge dans le baquet, attirent le regard du spectateur. Le blanc est ici la couleur dominante, celle qui pose les accents. Le blanc possédait une signification marquante dans le mode vestimentaire de l’époque. On pouvait reconnaitre l’appartenance sociale d’une personne aux vêtements qu’elle portait. Renoncer à sa chemise immaculée ou, pire encore, aux manchettes, toujours visibles, fraîchement lavées et repassées, était bien la dernière chose que souhaitait un bourgeois ou un noble appauvri. Le blanc était donc un signal positif.
L’importance accordée au nettoyage du linge était proportionnelle à la dimension sociale du linge propre. Le blanchissage était un travail pénible et si l’eau n’était pas livrée par des porteurs, les servantes devaient aller elles-mêmes au puits ou dans la Seine. Le savon était cher, la lessive était à base de chardon de bois. Le meilleur étant la cendre de hêtre que les servantes recueillaient dans l’âtre ou achetaient chez le marchand de cendres. Le linge était recouvert de chardon de bois et arrosé plusieurs fois avec de l’eau chaude.
A la campagne, la grande lessive avait lieu, traditionnellement, deux fois par an. En ville, l’opération n’avait, le plus souvent, pas lieu chez les particuliers. Rien que le séchage posait problème. Ceux qui en avaient les moyens et pour qui rien n’était trop compliqué pour obtenir un col et des manchettes éclatantes de blancheur, envoyaient leur linge en Hollande. C’était à Haarlem qu’on obtenait le blanc le plus blanc. Bien sur les blanchisseuses étaient méticuleuses et la qualité de l’eau jouait un rôle, mais ici on mettait aussi le linge à blanchir au soleil et cela se voyait.
Par la suite, le savon dur (le grand ancêtre en est le savon de Marseille, encore commercialisé de nos jours), devint de plus en plus répandu et c’est cela qui révolutionna, pour ainsi dire, la lessive. Il abimait moins les mains que la lessive au charbon de bois, et le linge devait tremper moins longtemps.
La grande lessive a cédé sa place au XVIIIe siècle à la petite lessive hebdomadaire ou bimensuelle, celle que le peintre a manifestement fixée sur la toile. En peignant le petit garçon faisant des bulles avec une paille, il indique que la jeune femme utilisait du savon , un produit encore bien cher à l’époque. Au cours de la petite lessive, on lavait toutes les pièces de linge visibles dans la toilette, c’est-à-dire les chemises, les cols, les manchettes. Pour les femmes les fichus de gorge, les bonnets et les bas.
Les auteurs du XIXe siècle supposaient que la femme à sa lessive représentait l’épouse du peintre, mais ce n’est guère vraisemblable. Sa jeune femme, maladive, donna le jour à un fils en 1731 et une fille en 1733 avant de mourir en 1735. Même les ménages modestes, comme celui de Chardin avait, au moins, une femme de charge. Les travaux ménagers étaient harassants, à peine faisables sans aide, et les jeunes filles ne coûtaient pas cher. » Rose-Marie & Rainet HAGEN (Tous deux sont auteurs d’ouvrages sur l’Histoire de l’Art et explications sur les œuvres d’art. Elle est suisse et lui allemand)







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