
» Le fondateur de la Maison Worth va faire passer le monde de la confection à celui de l’art. Il va se réclamer artiste. Il impose se marque, sa griffe, c’est une signature déliée comme celle des peintres. Il est lui-même collectionneur et il s’associera à des artistes de renom comme Lalique et Dunand » Annick LEMOINE (une des commissaires de l’expo) .

En collaboration étroite avec le Palais Galliera, le Petit Palais nous propose une vaste, très intéressante et instructive rétrospective sur l’histoire de la mode, l’invention du « grand couturier » , la création, la commercialisation , avec celui qui en a posé les bases de ce que l’on appelle aujourd’hui la haute-couture ; qui fut le fondateur d’une maison représentant, à l’époque, l’élégance et le luxe absolu dit à la française ; le créateur des collections saisonnières et des défilés ; qui a favorisé la commercialisation de ses différents modèles dans le monde entier ; qui a complètement bouleversé la création de mode : Charles Frederick WORTH une vraie référence et pointure dans ce milieu. On le surnommait « le prince de la couture » ou » l’instituteur de la mode » (Paul Poiret) – Lui disait qu’il était un artiste en robes et un compositeur de toilettes.

Worth a su modifier la façon dont était perçue la mode à son époque, et il en a fait un art. Ses créations sont, en effet, des véritables œuvres d’art qui portent en elles un savoir-faire . Chaque robe est unique car pensée pour une cliente en particulier.
Elle s’intitule WORTH-Inventer la haute couture / Jusqu’au 7 septembre 2025 – On peut y admirer 400 œuvres, robes de jour, du soir, grand-soir, de Cour, de thé (tea-gown) , manteaux, parfums, costumes, peintures, objets, accessoires, arts décoratifs et graphiques, sculptures, estampes, dans une chronologie qui va du Second Empire à l’entre deux-guerres. Une partie des vêtements prêtés a fait l’objet d’une restauration. Ce sont, plus la plupart, des œuvres rares et fragiles qui ne feront plus l’objet d’une quelconque exposition après celle-ci. Elles retourneront dans leur écrin d’origine.






La griffe Worth peut être méconnue pour certains, et pourtant comme l’explique si justement la commissaire de l’expo : « le grand public d’aujourd’hui regarde Worth sans le savoir. En effet, les robes du dernier gala du MET , en mai 2024, à New York, s’inspiraient presque toutes des robes de Worth qui sont conservées au Metropolitan Museum of Art. De même que Kasia Walicka-Maimone, la costumière de la série » The Gilded Age » revendique ouvertement ses références à la Maison Worth « – De plus, toutes les innovations qu’il a su apporter à la mode, ont été reprises par d’autres bien après lui.
Il faut savoir qu’avant lui la couturière n’avait pas un statut très important. Elle était une exécutante. Les clientes se rendaient chez elle pour qu’elle puisse réaliser une robe selon leurs propres idées. Worth va complètement changer la donne en ne répondant pas aux souhaits de ses clientes, mais en leur imposant ses propres choix de style, de tissus, de couleurs . Elles ne choisissaient plus et laissaient faire le maître. Le résultat ce sont des robes époustouflantes.
Les clientes n’hésitaient pas à débourser des sommes vertigineuses pour en avoir une, et demandaient à des peintres de l’époque de les immortaliser portant une tenue signée Worth. Ces peintres s’appelaient Franz Xaver Winterhalter, Alexandre Cabanel, Carolus Duran, Louise Breslau, Antonio de la Gandara, Jean-Jacques Henner. La mode s’offrait ainsi une sorte de dialogue avec l’art pictural.




Couturier astucieux, artiste génial , il fut un homme autoritaire, avec un grand sens du négoce et de la communication , un novateur et visionnaire de la mode . Ses créations ont attiré toutes les têtes couronnées et aristocrates françaises mais étrangères aussi. Parmi ses clientes, pour ne citer qu’elles, il y eut l’impératrice Eugénie, Elisabeth d’Autriche dite Sissi , la princesse Metternich (épouse de l’ambassadeur d’Autriche en France), Franca Florio (une noble italienne de la Belle Époque) , la Princesse Mathilde ( Femme de Lettres qui avait un salon très en vue à Paris) Lady Curzon (célèbre auteure britannique) , la Comtesse Greffulhe (aristocrate qui inspira Proust pour la duchesse de Guermantes dans son roman ), la duchesse de Morny, Isabelle III d’Espagne (qui se déplaçait à Paris pour le rencontrer), Ida Rubinstein, la princesse Anna Murat, la duchesse de Castiglione dite Marcello (sculptrice)… mais aussi des actrices et autres femmes du monde italiennes, espagnoles, hollandaises, américaines.





Sans oublier les grandes dames de la Cour en Russie et les tsarines qui furent habillées en Worth pour le couronnement de leurs époux Alexandre III en 1883 et Nicolas II en 1896 . En revanche, toutes ces dames ne se déplaçaient pas à Paris. On envoyait des croquis et des échantillons de tissus en Russie pour les robes et manteaux pensés et conçus par Worth.
J’ai nommé l’impératrice Eugenie, épouse de Napoléon III. Elle a fait de Worth l’habilleur de la Cour impériale et de la haute société. Avant lui, elle était la cliente de la Maison Gagelin et c’est la princesse Metternich qui lui présentera Worth. Elle deviendra une de ses plus ferventes et fidèles clientes, lui accordant une entrée particulière au Palais des Tuileries.


Worth est né en 1825 à Bourne (Lincolnshire) dans une famille britannique assez bourgeoise. Malheureusement, le père, un joueur invétéré, quitte la maison lorsqu’il est encore très jeune et de ce fait, il a dû trouver un emploi assez vite pour subvenir aux besoins de la famille. Compte tenu qu’il aime beaucoup l’univers des textiles, sa mère le fait employer, à 12 ans, comme apprenti-drapier dans une maison de Londres.
En 1850, il se rend à Paris et trouve une place chez un célèbre mercier de luxe : Gagelin, 83 rue de Richelieu à Paris. Il devient couturier et son travail est très vite remarqué et apprécié. Il expose même ses modèles non seulement à Paris un an plus tard, mais à Londres également en 1855.
Il épousera , en 1851, Marie Vernet, une des vendeuses chez Gagelin. Deux enfants naitront de cette union : Gaston et Jean-Philippe. Elle sera sa femme, sa muse , son » mannequin » préféré, sa conseillère, son agent artistique auprès de la presse, formera les vendeuses de la Maison, donnera son avis sur la création et le style. » Au début elle fut l’inspiratrice de mon père et à la fin la célébrité de la boutique. Aucune cliente ne l’a jamais traitée comme un “fournisseur”, beaucoup, enchantées par sa grâce et son charme, prétendant être son amie » disait son fils Jean-Philippe dans ses Mémoires.

En 1870 il bouleverse la mode en remplaçant l’imposante crinoline d’autrefois, par un petit coussinet mis sous la robe au niveau du postérieur , appelé tournure. Tout le volume de la robe est alors reporté sur l’arrière. On peut alors y rajouter encore plus de tissu, de rubans, des traines plus longues, des nœuds, et agrémenter le tout de passementeries diverses et variées. Worth travaillera avec les soieries lyonnaises les plus réputées.


Le succès aidant, il décide, en 1858 de s’associer à un commis suédois de chez Gagelin : Otto Gustav Bobergh, pour fonder sa propre maison de couture (Worth & Bobergh) . Ce sera au 7 rue de la Paix, de nombreux étages, des balcons et cours intérieurs, des ateliers de couture, un atelier de photographie, des réfectoires, des cuisines, des bureaux, etc… On y trouve également des salons de présentation de ses création avec des jeunes filles qui sont , pourrait-on dire, les premiers mannequins de mode appelées Les sosies. Il a une idée révolutionnaire pour l’époque : les faire défiler devant ses clientes.

Les deux hommes mettront un terme à leur association en 1870. Worth continuera seul et la Maison ne cessera pas de prospérer. Les prix élevés ne ralentissent pas les commandes. Sa griffe plait toujours autant. Il a de nombreux contacts avec des personnes influentes de l’aristocratie, la haute bourgeoisie qu’il rencontre très souvent dans les salons de sa célèbre Maison car ils viennent accompagner leurs épouses qui trouvent là tout ce dont elles ont besoin en vêtements pour chaque moment de la journée.
En 1874 , ses deux fils, Gaston et Jean-Philippe le rejoignent pour le seconder. Chacun a sa place : le premier est très talentueux dans la création et le deuxième dans l’administratif et le financier. Ils représentent la transition entre le XIXe et le XXe siècle, la route vers la modernité. L’affaire continue d’être florissante, et prospère, malgré l’ouverture d’autres Maisons de couture comme celle de Jeanne Paquin, les sœurs Caillot ou celle de Jacques Doucet. Une succursale voit même le jour à Londres.
Frederick Worth décède en 1895. Gaston embauche Paul Poiret pour « moderniser » l’affaire . Ce dernier les quittera en 1903 pour ouvrir sa propre Maison de couture . En 1910, le fils de Worth Jean-Philippe se retire de l’affaire . C’est le fils de Gaston, Jean-Charles, qui qui reprend la direction avec son frère Jacques et ce jusqu’en 1922. Il lèguera la Maison Worth en 1941 à ses fils Maurice et Roger. Malheureusement, elle n’est plus ce qu’elle était …. Les deux hommes la vendront en 1954 à la Maison Paquin. Elle devient alors Worth-Paquin puis disparait totalement en 1956.


P.S : du 25 juin 2025 au 11 janvier 2026, le Musée des Arts décoratifs mettra à l’honneur une autre figure emblématique de la mode, celui qui a » décorseté » les dames de son époque : Paul POIRET. Comme je l’ai écrit dans l’article ci-dessus, il a débuté chez Worth avant de fonder sa propre Maison de couture – L’expo s’intitulera » Paul POIRET – La mode est une fête »






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