
En 1953, Matisse disait à une historienne : il faut regarder toute la vie avec des yeux d’enfant. C’est donc en s’inspirant du regard intense aux yeux marrons de sa fille, que le Musée d’Art Moderne de Paris propose une inédite et assez exceptionnelle qui s’intitule : MATISSE et MARGUERITE – Le regard d’un père (jusqu’au 24.8.2025)

Une expo très touchante, et pleine de tendresse, humaine et sensible, évoquant la relation privilégiée que le peintre a entretenu avec sa fille ainée, Marguerite, Margot pour les intimes, qu’il va très souvent portraitiser de différentes façons selon sa propre évolution picturale : fauviste, géométrique, en groupes etc… Pour suivre ce parcours chronologique, environ 110 œuvres, tableaux, dessins, gravures, sculptures, céramiques, photographies, documents d’archives.


Cette expo, qui se révèle être comme un « dialogue » entre père et fille, a nécessité un très gros travail de recherches dans toutes les archives qu’il a été possible de trouver. On sait que tous deux ont entretenu une relation très fusionnelle, complice, auréolée de tendresse. En raison de problèmes respiratoires, et d’une intervention chirurgicale , Marguerite avait une santé fragile, ce qui l’a encore plus rapproché de son père . Ce dernier en a fait, longtemps, son modèle préféré.
Si elle porte un petit ruban noir autour de son cou sur certains portraits,(ou un chemisier à col montant) c’est justement pour cacher la cicatrice laissée par la trachéotomie qu’elle a subi étant enfant.

Matisse fut un peintre très expressif, graveur et sculpteur, chef de file des Fauvistes. Il a surtout fait partie de ces artistes qui ont défini l’évolution assez révolutionnaire des arts plastiques. Malgré cela, il a longtemps été perçu comme comme un défenseur de la tradition picturale classique. Réputé pour être une personne très exigeante, audacieuse, qui n’a eu cesse de s’intéresser à la couleur, souhaitant vouloir toujours la simplifier, la styliser.
On peut dire que son travail a considérablement influencé l’art de la seconde partie du XXe siècle, ainsi que tous les artistes français ( mais pas que ) qui viendront après lui. Il a eu, de son vivant, du succès, de la reconnaissance, et, ses œuvres sont entrées dans de très nombreuses collections. En 1917, il était un artiste assis sur une solide réputation, forçant l’admiration des collectionneurs, et le soutien des critiques d’art. Le prix de ses tableaux ne cessaient de grimper.

Matisse a toujours eu à cœur de peindre sa vie intime, ses proches et en particulier sa famille. On dit de lui qu’il fut un homme d’intérieur , un peintre de chambre, très attaché à son environnement pictural, en l’occurrence ses différents ateliers (et tous les objets qui s’y trouvaient) qui se transformaient pour lui en laboratoires: « Lorsque je peins ou que je dessine, j’éprouve un besoin de communion intime avec ce qui m’inspire. Je m’identifie à l’objet, quel qu’il soit, et créé un expression sensible qui est le fond de mon âme. La richesse des moyens n’est jamais suffisante si l’artiste ne peut lui faire exprimer la tendresse intérieure qu’il éprouve pour tout ce qui existe. »



Il est né en 1869 à Cateau-Cambresis dans le Nord de la France . Après des études de droit, il a travaillé comme clerc de notaire. Alité à la suite d’une opération de l’appendicite lorsqu’il avait 20 ans, il découvre la peinture. Elle va le passionner. Il prend des cours, monte à Paris en 1891. Là étant, il intègre l’École des Arts Déco après son échec au concours d’entrée de l’Académie Julian.
En 1894, il a une liaison avec son modèle Caroline Joblaud qui sera la mère de Marguerite. Le peintre reconnaitra l’enfant 2 ans après sa naissance. En 1898, il épouse Amélie Parayre qui lui donnera deux fils Jean et Pierre, nés respectivement en 1899 et 1900. Le premier sera un sculpteur peu connu, et le second un marchand d’art assez réputé, qui ouvrira une galerie d’art à New York où il exposait des œuvres de son père, mais aussi d’autres artistes d’art moderne.

Marguerite grandira avec ses deux frères auprès de Matisse et de son épouse, tout en continuant, malgré tout, d’avoir des liens avec sa mère biologique . Elle ne cessera de répéter que c’était un foyer très soudé et heureux. Compte tenu, comme je l’ai dit plus haut, de sa santé fragile elle ne suivra pas une scolarité normale. et restera souvent dans l’atelier de son père, au milieu des toiles, des pinceaux et de l’odeur de la térébenthine. Elle devient ,comme elle aime à le souligner, la gosse d’artiste qui traîne dans l’atelier.
Au-delà de cela, elle assiste aux différents entretiens artistiques de son père, et à ses évolutions picturales. On peut dire qu’elle sera le témoin bienveillant et capital de toutes ses expérimentations picturales et de la naissance du fauvisme. Il a besoin de sa présence, de son avis. Elle accepte de poser durant des heures et fera l’objet d’une centaine de portraits que ce soit des tableaux mais aussi des dessins et des gravures. Elle sera son modèle préféré.




Une petite parenthèse à propos des modèles du peintre. Elles furent très importantes dans sa carrière, voire même indispensables. Bien sur il y eut Marguerite, ainsi que son épouse à l’occasion aussi, mais il y en eut d’autres qui vont énormément compter sur le plan pictural : Henriette Darricarrère, Annelies Nelck, Carmen Leschennes dite Katia, Lydia Delectorskaya (la dernière) . Matisse expliquera en 1939 comment il faut voir les relations privilégiées de travail entretenues avec elles : » l’intérêt émotif qu’elles ( les modèles) m’inspirent ne se voit pas spécialement sur la représentation de leur corps, mais souvent par des lignes et des valeurs spéciales qui sont répandues sur toute la toile ou le papier et en forment son orchestration, son architecture. «
Marguerite s’essaiera à la peinture sous l’œil bienveillant de son père vers 1914 .Elle exposera même au Salon des Indépendants deux ans plus tard. Toutefois, elle finira par renoncer à une éventuelle carrière de peintre, probablement parce que se faire un prénom, face au nom de son père, était difficile et ce même si elle était assez douée. Elle avouera vouloir porter la lumière sur son père plus que sur elle et rester dans son ombre.


Si Margot a très longtemps été une enfant timide, studieuse, rêveuse, et discrète, elle deviendra une jeune femme très déterminée, avec un sacré caractère, courageuse, qui, durant la seconde guerre mondiale, fera partie de la résistance , chez les FTP, avec sa belle-mère Amélie. Toutes deux seront très actives dans ce réseau. Malheureusement elle sera arrêtée par la Gestapo, emprisonnée au camp de Ravensbruck, torturée et défigurée . Elle sera libérée en 1944. Une période terriblement douloureuse, poignante pour son père qui découvrira combien elle avait souffert.
» Je suppose qu’elle n’est que très fatiguée car on ne m’a pas dit autre chose pour me ménager. Le docteur dit que c’était un miracle qu’elle s’en soit sortie ainsi… » Matisse dans une lettre adressée à Albert Marquet en 1944.
Le nombre des portraits de sa fille va sans cesse augmenter notamment dans la période de la première guerre mondiale. Il l’a peint enfant, puis jeune femme. Elle disparaitra quelque peu des tableaux de son père lorsqu’elle épousera, en 1923, Georges Duthuit, historien, critique d’art, conférencier, qui lui donnera un fils, Claude. Elle vivra à Paris et son père à Nice.
Malgré cette séparation elle continue à s’occuper du travail de son père comme l’organisation de différentes expositions internationales, ou le contrôle de tout ce qui paraît sur lui. On redoute beaucoup son jugement car tout le monde sait qu’elle à toute la confiance du peintre qui affirme qu’elle est très vigilante et qu’il a conscience de son bon jugement.
Matisse apprécie , au départ , le mariage de sa fille mais il la voit, malheureusement, s’éloigner de lui. Il lui demande sans cesse de ses nouvelles. Son gendre aimait sa fille, mais il la trompait régulièrement lors de ses différents déplacements. Marguerite l’apprend, souffre de sa situation. Du coup, le peintre ne souhaitera plus jamais le rencontrer. Elle quittera son mari mais ne divorcera pas. Tous deux garderont des relations professionnelles cordiales. Elle fera appel à lui pour s’occuper du catalogue des œuvres de son père avec elle . Matisse fera même la couverture d’un numéro de la revue Transition appartenant à son ex-gendre, en 1949, mais refusera toujours de le revoir.
Marguerite deviendra l’assistante de son père vieillissant, installé à Nice, gérant les rencontres avec les collectionneurs, les historiens, les marchands d’art, les conservateurs, se montrant très dévouée, exigeante, défendant, préservant avec ardeur l’œuvre de Matisse notamment pour les accrochages dans les expositions, sans pour autant le sacraliser . On apprécie l’authenticité de ses informations et le regard qu’elle porte sur l’œuvre de son père dont elle fut si proche.
Elle sera la compagne de ses ultimes projets comme la publication d’un livre, des vitraux que son père devait réaliser pour la chapelle du Rosaire à Vence, l’ouverture du Musée de Cateau-Cambrésis en 1952, ainsi que la mise en place du Musée Matisse de Nice qui sera inauguré en 1963. Matisse n’était plus là pour cet évènement puisqu’il est mort en 1954 avec Marguerite à ses côtés.
Elle décèdera en 1982 d’une crise cardiaque sans que ne soit terminé le catalogue des estampes de son père auquel elle tenait beaucoup et qui paraîtra en 1983. Elle est enterrée à aux côtés de son père au Cimetière du Château à Nice.









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