

» Je conviens que les Princes ne peuvent souffrir qu’on leur dise leurs vérités. Mais c’est aussi ce qui fait le plus d’honneur aux fous, car ils ne dissimulent point les défauts et les vices des rois. Que dis-je ? Ils s’échappent le plus souvent jusqu’à les insulter et même jusqu’à leur dire des injures sans que ces maîtres du monde s’en fâchent ou s’en offensent. Des paroles qui feraient pendre Monsieur le philosophe s’il proférait. Sortent-elles de la bouche d’un fou ? Le Prince en rit de bon cœur ! » Érasme (Philosophe – dans son ouvrage l’É loge de la folie / 1511 )
« Les fous sont absolument partout. Ils permettent d’avoir une vision intime et rapprochée de la pensée, de la culture et l’art du Moyen-Âge et de la Renaissance, ce moment de passage vers les temps modernes. Le fou est une figure clé, témoignant de l’évolution de notre histoire. » Élisabeth KÖNIG (Commissaire de l’exposition)
Voilà une exposition fort intéressante, surprenante, et passionnante, organisée par le Musée du Louvre, avec le soutien des mécènes du Louvre, la Fondation Etrillard et la Medieval Society de New York.
Elle s’intitule Les figures du Fou – Du Moyen-Âge aux romantiques (jusqu’au 3.2.2025) et se déroule de façon chronologique et thématique dans le Hall Napoléon fraîchement rénové. Plus de 300 œuvres diverses et variées y sont présentées : peintures, sculptures, enluminures, terres cuites, objets divers, tapisseries, manuscrits etc… prêts de 90 prestigieuses institutions muséales, françaises et étrangères, avec une mission : nous faire découvrir l’univers du fou, personnage insolent, extravagant, amuseur populaire au pouvoir libérateur, son évolution, le rôle qu’il a tenu à une certaine époque, à savoir durant le Moyen-Âge, et plus encore à la Renaissance (son Âge d’or) , son omniprésence dans l’art et la culture. On comprend qu’il ait pu être une source d’inspiration pour de nombreux artistes.
Pour l’occasion, Notre-Dame de Paris a prêté des superbes chimères qui sont là pour rendre hommage, en quelque sorte, au roman de Victor Hugo et surtout à son très touchant Quasimodo, dit Le Pape des fous




Attention, en parlant de fou , il ne s’agit pas d’aliéné mental relevant de la psychiatrie (bien que la folie soit quelque peu évoquée selon les œuvres présentées) mais d’un personnage né au Moyen-Âge, dont la figure a fait l’objet de diverses représentations au fil du temps, qui a connu son âge d’or durant la Renaissance, s’est fait oublier au XVIIe, est revenu au XVIIIe avec la Commedia dell’arte.
Apparu, au départ, dans le religieux, plus précisément dans les psautiers, à savoir recueils de psaumes, tel un errant, un vagabond qui ne croyait pas en dieu et vivait en marge de la société. Il peut apparaitre comme une personne avec un handicap physique (nanisme).

Il existe aussi ce que l’on a appelé les fous de Dieu avec comme exemple Saint François d’Assise qui avait renoncé à sa fortune pour la pauvreté et transmettre la parole du Christ, et qui dira un jour je suis un nouveau fou de Dieu.




Plus tard, il devient l’amuseur professionnel marginal, celui que l’on retrouve dans les fêtes populaires, les carnavals, les Cours royales ( au milieu des musiciens, danseurs et des mimes) pour divertir et le roi et tous ses courtisans avec ses blagues, bouffonneries, railleries, parodies. Il se moquait aussi des gens du peuple, des paysans, des médecins, voyageurs, clercs, cuisiniers etc… et donnait des spectacles qui pouvaient être érotiques, tragiques, voire même assez violents parfois.
Personnage excessif, extravagant, le fou avait une grande liberté d’expression, souvent de l’esprit, de la répartie. Il savait manier les bons mots et était doté, quoi qu’on en pense, d’une certaine intelligence. Il raillait, persiflait, dénonçait, tutoyait, cassait les codes de la bienséance, singeait les vices de la Cour, des nobles, faisait des remarques désobligeantes sur le ton de la plaisanterie pour mieux qu’elles soient acceptées des courtisans, et se permettait même de critiquer la politique du roi en racontant des petites histoires amusantes qui finalement passaient bien.
Il était d’origine plutôt modeste, sans titre de noblesse. Le roi avait pour mission de lui assurer protection, lui offrir une rémunération, le gîte et le couvert. En échange de quoi il se devait de le faire rire. Ce n’était pas une demande, mais une obligation. Lui changer les idées car ses responsabilités royales étaient parfois très pesantes. D’un autre côté, on lui permettait de s’exprimer et donner son avis y compris sur la politique royale menée par le roi. On le sollicite même pour le faire.
On l’a surnommé le grimacier ou le rechigneur. Au Moyen-Âge il était le fou, puis il disparaitra pour devenir le bouffon ou le nain à la Renaissance . Du coup, son image sera différente de celle que l’on avait pu avoir auparavant. On le reverra plus tard, comme je l’ai dit, parmi les personnages de la Commedia dell’arte.
Il y a en a eu des très célèbres comme Triboulet à la Cour de François Ier qui siégeait au Conseil du roi et donnait son avis. Le roi l’adorait. Victor Hugo en fera le héros principal dans l’une de ses pièces … D’Angely officiait, quant à lui, à la Cour de Louis XIII puis celle de son fils Louis XIV par la suite.
Mais il y en eut d’autres, tout aussi connus : Pietro Gommella à la Cour d’Este, Brusquet à la Cour de François II et Charles IX – Chicot , puis Joubert à celle de Henri IV – Pape Theum à celle de Charles Quint à Bruxelles et … mais oui une femme Mathurine de Valois bouffonne à la Cour de Henri III.
Certains de ces fous , ayant pour mission de divertir , n’avaient de » fou » que le nom, et ont dû être confrontés à des souverains qui, eux, parfois, n’avaient pas toutes leurs facultés mentales !
L’expo nous le montre sous tous ses aspects : extravagant, bizarre, étrange, grotesque, comique, inquiétant vêtu, très souvent, d’un costume avec des couleurs assez vive, sur la tête des oreilles d’âne ou une crête de coq, une marotte (bâton) ou un chapeau à grelots, à plumes, ou un capuchon.







De tous temps l’art a représenté les fous, que ce soit dans des tableaux, sculptures, objet, orfèvrerie, tapisserie, dans une représentation de créature étrange, bizarre mais souriante aussi . On note également sa présence dans la littérature courtoise, notamment les romans de chevalerie où les folies de l’amour y sont souvent évoquées. Il se présente comme une sorte de moralisateur pour les ridiculiser, introduisant l’idée, comme le souligne la commissaire de l’expo, Elisabeth Antoine König que l’amour est une folie, une dépossession de soi et qui entraîne l’homme vers des extrémités qui lui font perdre la tête. Il apparait alors comme un personnage lubrique, allégorique et symbolisant la luxure. » –





La littérature fait référence à lui dans des enluminures manuscrites également , des traités de philosophie, des livres de droit et autres ouvrages dans lesquels on nous explique la naissance et l’évolution de cette figure à la fois comique mais aussi inquiétante. La nef des fous ( fols) fut un poème satirique médiéval, assez long, écrit par Sébastien Brant (docteur en droit) paru en Allemagne fin du XVe siècle, avec beaucoup d’illustrations , qui a connu un énorme succès et dont se sont inspirés des peintres dont Jérôme Bosch. Dans cet ouvrage qui sera traduit en différentes langues, dont le français, et qui deviendra une référence, il fait une critique très acide des hommes, ses contemporains, tous ces fous issus de toutes les classes sociales.







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