» Avec le pinceau nous ne faisons que colorer, tandis que l’imagination seule produit la couleur  » Théodore GÉRICAULT

 » Il a gaspillé sa jeunesse. Il était extrême en tout. Il n’aimait à monter que des chevaux entiers et choisissait les plus fougueux. Je l’ai vu plusieurs fois quand il montait en selle. Il ne pouvait presque le faire que par surprise. A peine en selle, il était emporté par sa monture. Un jour, que je dînais avec lui et son père, il nous quitte avant le dessert, pour aller au bois de Boulogne. Il part comme un éclair, n’ayant pas le temps de se retourner pour nous dire bonsoir, et moi de me remettre à table avec le bon vieillard. Au bout de dix minutes, nous entendons un grand bruit : il revenait au galop. Il lui manquait une des basques de son habit. Le cheval l’avait serré, je ne sais où, et lui avait fait perdre cet accompagnement nécessaire.  » Eugène DELACROIX (Peintre français)

Théodore GÉRICAULT par Horace VERNET

Pour celles et ceux qui ne le connaissent pas, le Musée de la vie romantique, à Paris, est un endroit charmant qui se trouve non loin de la butte Montmartre, rue Chaptal, dans le 9e arrondissement ; un quartier que l’on nommait autrefois la nouvelle Athènes. Il fait partie des trois musées littéraires de la capitale avec la Maison Hugo et la Maison Balzac. C’est dans ce lieu intemporel, hôtel particulier à deux étages, doté d’un joli jardin de roses, que s’est installé, en 1830, le peintre portraitiste Ary Scheffer. Il fera construire deux ateliers à verrière.

Durant des années, il recevra tout ce qui comptait d’important dans la vie artistique intellectuelle parisienne. On y croisera Géricault, Sand, Chopin, Liszt, d’Agout, Lamartine, Tourgueniev, Gounod, Dickens … et tant d’autres ! Il deviendra un endroit très réputé et prisé.

Scheffer louait cette maison. Lorsqu’il décèdera en 1858, sa fille Cornélia l’achète. A sa mort, c’est la petite fille du peintre Noémie Renan-Scheffer qui la reprendra. Toutes deux perpétueront les réceptions auxquelles participeront les personnalité les plus en vue de leur époque respective.

En 1956, l’hôtel particulier est revendu à l’État français afin d’en faire un musée. Ce sera chose faite en 1982 en tant qu’annexe du Musée Carnavalet au départ, sous le nom de Musée Renan-Scheffer. Il deviendra Musée de la vie romantique en 1987.

Il propose, jusqu’au 15.9.2024, une fort belle expo-hommage, à l’occasion du bicentenaire de la mort d’un peintre merveilleux , sculpteur, excellent dessinateur et lithographe français peintre : Théodore Géricault. Elle s’intitule Les chevaux de Géricault .

Une centaine d’œuvres, magnifiques , y sont exposées sur l’un des thèmes préférés, et omniprésents, du peintre : le cheval : antique, anglais, militaire, mais aussi des portraits équestres, de têtes de cheval, l’univers des courses, les écuries, les chevaux au repos, leur anatomie, leur naissance, leur mort aussi. Le cheval ayant été une passion incroyable, immuable et dévorante, dans la vie de ce peintre. Elle se déroule en cinq espaces : Le cheval politique – L’écurie sanctuaire – Rome, la course des chevaux libres – Londres : dandies et prolétaires – Mort du cheval

 » Depuis les frises du Parthénon, où Phidias a fait défiler ses longues cavalcades, nul artiste n’a rendu, comme Géricault, l’idéal de la perfection chevaline.  » Théophile GAUTIER en 1848

 » Cheval cabré au tapis de selle rouge dit Tamerlan » 1812/13 Théodore GÉRICAULT ( Musée des Beaux-Arts /Rouen ( ce tableau illustre l’affiche de l’expo)
 » Tête de cheval blanc  » 1815 Théodore GÉRICAULT ( Musée du Louvre /Paris )
 » Cheval mort étendu sur la grève  » 1821 Théodore GÉRICAULT (Musée des Beaux-Arts/Rouen)
 » Officier de chasseurs de la garde impérial à cheval  » 1812 Théodore GÉRICAULT (Musée du Louvre/Paris)

Le cheval a occupé une grande place dans sa vie. Il a toujours pensé que c’était un être d’esthétique, d’élégance, et un symbole de puissance. Mais, en dehors de cela, il a aimé le cheval dans sa fougue, son mouvement, le cheval qui vit, qui se cabre, qui s’emballe, celui qui a le sang chaud, capable de réactions imprévisibles, celui qui travaille au labour et à qui il trouvait une grande noblesse, sans oublier l’expressivité du cheval, son émotion. Il n’a eu cesse de les observer et tenter de les comprendre.

Géricault a lui même été un grand cavalier. Il a beaucoup monté et a possédé plusieurs chevaux personnellement. Du reste, il a dépensé des sommes folles pour leur entretien. Il s’intéressait, par ailleurs, à tout ce qui avait un lien avec l’univers équestre. Une passion pour le cheval qui a débuté, très tôt, à Saint-Georges-de Rouelley où il passait des vacances chez des cousins dans son adolescence.

Plus tard, durant son voyage en Angleterre entre 1820 et 1821, il assistera à des courses de chevaux, et découvrira des grands tableaux équestres de talentueux peintres anglais comme Ward et Stubbs. Il réalisera alors des toiles et des lithographies sur ce thème.

 » Course de chevaux libres à Rome  » 1821 Théodore GÉRICAULT (Palais Musée des Beaux-Arts/Lille)
 » Cheval brun à l’écurie  » 1818 Théodore GÉRICAULT (Petit Palais / Paris)
 » Cheval arrêté par des esclaves  » 1817 Théodore GÉRICAULT (Musée des Beaux-Arts / Rouen )
 » Le Derby d’Epsom  » 1821 Théodore GÉRICAULT (Musée du Louvre /Paris)
 » Cinq chevaux vus par la croupe dans une écurie  » 1811/12 Théodore GÉRICAULT (Musée des Beaux-Arts/Rouen)

Cette passion va lui être fatale pourrait-on dire puisqu’ elle lui coûtera la vie. En effet, il fit de nombreuses chutes de cheval assez graves. L’une d’entre elles fut plus importante que les autres : c’était à Montmartre. Le cheval l’avait jeté à terre contre une pierre sur sa boucle de ceinture. Il en ressort avec une déviation de vertèbre (non détectée) et un abcès dans la région lombaire. Le tout va s’aggraver au fil du temps , il n’y prêtera pas attention tout de suite et chutera à nouveau par dessus. Il subira plusieurs interventions chirurgicales lorsque l’on s’apercevra de la gravité de son mal. Il ne se remettra pas de ces complications, d’autant qu’il était atteint d’une tuberculose osseuse. Il mourra dans de grandes souffrances.

 »Il y a quelques jours, j’ai été le soir chez Géricault. Quelle triste soirée. Il est mourant. Sa maigreur est affreuse. Ses cuisses sont grosses comme mes bras, sa tête est celle d’un vieillard mourant. Je fais des vœux bien sincères pour qu’il vive, mais je n’espère plus. Quel affreux changement. Je me souviens que je suis revenu tout enthousiasmé par sa peinture, surtout une étude de tête de carabinier. S’en souvenir. C’est un jalon. Les belles études. Quelle fermeté ! Quelle supériorité ! Et mourir à côté de cela, qu’on a fait toute la vigueur et la fougue de la jeunesse, quand on ne peut se retourner sur son lit, d’un pouce, sans le secours d’autrui!  » DELACROIX après une visite rendue à son amie en 1823.

Ce peintre est considéré, avec son grand ami Eugène Delacroix, comme étant une des figures très importantes du mouvement romantique, l’incarnation , la référence . Un mouvement intellectuel et artistique né en Europe au XVIIIe siècle, qui a atteint son apogée dans la première moitié du XIXe siècle et comprenait des manifestations littéraires, musicales, philosophiques, picturales, chorégraphiques, bref une grande diversité artistique réhabilitant la sensibilité, l’imagination, l’extase, les tourments du cœur , la pensée humaine. Face au classicisme retenu et mesuré, le romantisme a été doté de beaucoup de liberté et d’exaltation.

Géricault fut un génie mélancolique, tourmenté, un peintre à la sombre énergie, qui n’a pas hésité à aborder des états comme la douleur, le désespoir, la folie. Ce fut un peintre infiniment doué, un incroyable obsédé de l’instant, appartenant comme le disait Musset à une jeunesse ardente et nerveuse.

Sa vie fut brève car elle s’éteindra à 33 ans à peine. Jeune homme turbulent, dissipé, susceptible, aimant la violence, habité, voire même hanté par la mort et la maladie. Il n’a jamais hésité à dire tout haut ce que d’autres pensaient tout bas, comme critiquer ouvertement le Musée du Louvre qui était alors une institution respectée. Il en sera d’ailleurs plusieurs fois exclus.

Un dandy très élégant et bien vêtu. Il faut dire que Géricault, contrairement à d’autres peintres de son époque, n’a pas eu à vendre ses tableaux pour vivre. Il a fait très tôt des héritages (de sa mère et de sa grand-mère) qui lui ont permis d’avoir un beau train de vie, sauf à la fin en raison de très mauvais placements et ses dépenses inconsidérées notamment avec les chevaux, et là, pour le coup, il a dû vendre pour manger.

Il est né à Rouen en 1791 dans une famille aisée. Son père Georges est un magistrat qui a fait fortune en se reconvertissant et s’associant dans une manufacture de tabac. Sa mère, Louise, était une femme distinguée ,qui venait d’une famille très riche, issue de la grande bourgeoisie normande. La petite famille s’installe à Paris en 1796.

Après une scolarité, dans le primaire, pas très brillante car plutôt rêveuse , il entre au Lycée Impérial où son professeur de dessin est un prix de Rome. Il décide de faire carrière en tant que peintre . Il rejoint, en 1810, l’atelier de Carle Vernet, un spécialiste de scènes de chasse. Ce dernier a formé, entre autres, des grands romantiques dont Delacroix.

Toutefois, ne plus trouvant plus de réel attrait à son enseignement, Théodore quitte l’atelier, se fera copiste (de Rubens en particulier) au Louvre, et s’inscrit en 1811 à l’École des Beaux-Arts. On trouve ce jeune peintre puissamment original, ses coloris sont harmonieux, son mouvement assez hardi. Il sera récompensé par une médaille d’or, ce qui va l’encourager à persévérer dans cette voie.

En 1814, il entre dans la Compagnie des mousquetaires du roi Louis XVIII afin d’avoir la possibilité d’approcher et peindre des officiers à cheval. C’était une expédition d’accompagnement du roi qui devait durer 100 jours, mais il ne la terminera pas et revient en France un an plus tard. Il tentera le grand prix de Rome mais échouera, partira pour l’Italie un an plus tard où il copiera les grands maitres italiens comme Michel Ange et Raphaël et se rendra dans les plus grands musées de Rome, Florence et Naples.

 » Deux chevaux de poste  » 1822 Théodore GÉRICAULT (Musée du Louvre/Paris)
 » Un cheval et son lad  » 1822 Théodore GÉRICAULT (Collection particulière)

Géricault vivra une grande histoire d’amour avec la très jeune épouse de son oncle. Elle s’appelait Alexandrine. Une relation qui va durer longtemps, un amour fou et tragique. Leur liaison sera qualifiée d’incestueuse, même si elle ne l’était pas vraiment. Un enfant naîtra de leur amour : Hippolyte Georges, en 1818, déclaré de père et de mère inconnus. Cet enfant ne saura jamais qui était ses parents et Géricault avouera que ce fut très douloureux pour lui. Ce n’est qu’en 1846 qu’on accordera à Hippolyte le droit de porter le nom de son père à savoir Géricault.

Pour tenter d’échapper à ces histoires de famille et cet amour impossible, le peintre se jettera à corps perdu dans sa peinture. A sa mort, il sera enterré, au départ, dans un caveau appartenant à un ami, puis placé deux ans plus tard au cimetière du Père Lachaise sur un morceau de terrain appartenant à sa famille. Aucun écriteau, aucune pierre tombale.

Cela va durer 15 ans en l’état, jusqu’au jour où le peintre, sculpteur, architecte et littérateur français Antoine Étex, qui travaillait sur une tombe dans ce cimetière, souhaitera se recueillir sur celle de Géricault. Il constata que cela ne pouvait se faire puisqu’il n’y en avait pas. Il prendra donc l’initiative d’une commission de peintres, avec Delacroix notamment, pour récolter une somme assez conséquente permettant de réaliser une œuvre qui devrait servir de tombeau à Géricault. Malheureusement, au final, peu de candidats et une somme d’argent récoltée assez dérisoire . Le jury ne retiendra finalement que deux projets, dont celui (en plâtre) de Étex, qui représentait un Géricault allongé avec, en dessous, un bas relief reprenant le célèbre tableau du peintre le radeau de la méduse.

Le tout fut donc réalisé, au final, en marbre blanc et placé sur le terrain de la tombe du peintre. Les journaux de l’époque relatèrent l’évènement et le fils de Géricault, remercia vivement Étex pour avoir donné à son père une sépulture digne de lui. Malheureusement, cinq ans plus tard, le marbre se détériora à cause d’une forte intempérie. Il fallut tout retirer et rénover. Géricault se retrouva, à nouveau, sans rien. Fort heureusement, avant de mourir, son fils émettra une clause dans son testament : il laissait tous ses biens à l’État français avec une somme d’argent conséquente qui devrait être employée pour refaire l’œuvre d’Etex en bronze et granit, replacée sur la tombe de son père.

Tombe de Géricault au Père Lachaise / Photo de Jean-François GORNET

Une réponse à « Les chevaux de Géricault … Musée de la vie romantique »

  1. […] Théodore Géricault, dans un précédent article à l’occasion du bicentenaire de sa mort (https://plumespointespalettesetpartitions.com/2024/06/02/les-chevaux-de-gericault-musee-de-la-vie-ro… ) pour vous parler d’autres chefs d’œuvre célèbres , nés de son pinceau, à savoir […]

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