Michel-Ange fut un émérite et exceptionnel créateur de la Renaissance italienne, immense sculpteur, dessinateur, peintre, architecte, urbaniste, un fin lettré, qui fut aussi poète, ce que, peut-être, certains ignorent . Auteur de plus de 300 poèmes ( Sonnets, madrigaux, stanses, canzones) écrits de 32 à 85 ans, et qui ne seront publiés bien des années après sa mort, parce qu’il n’est pas certain qu’il aurait été d’accord pour le faire de son vivant, c’était bien trop personnel .

En effet, il a confié à sa plume ses pensées les plus intimes, ses désirs, ses tourments, ses douleurs, sa spiritualité, ses sentiments vis-à-vis de son travail, la complexité de son esprit tourmenté, sa lassitude de la vie, la mort, la nuit …

Il a écrit pour plusieurs personnes, le pape, Dieu, beaucoup de ses amis et connaissances , mais deux en particulier furent une grande source d’inspiration et pour lesquels il a éprouvé une passion forte mais qui restera platonique : Tommaso Cavalieri un jeune gentilhomme romain, passionné d’art, rencontré en 1532 , dont il fut amoureux et à qui il apprenait le dessin, et la marquise de Pescara Vittoria Colonna, sa muse.

Il rencontra Vittoria à Rome. Elle avait 48 ans et lui 63. Entre eux ce fut un véritable coup de foudre intellectuel. Leur relation ne fut pas physique mais elle n’en demeura pas moins très forte, un partage de l’amour pour la nature et la recherche du sens de la vie. La mort de la marquise l’affectera énormément.

Michel-Ange et Tommaso resteront très proches jusqu’à la mort de l’artiste en 1564.

Portrait de MICHEL-ANGE (Michelangelo di Lodovico Buonarrotti Simoni) 1475/1564 Un tableau de Jocopino DEL PONTE en 1535 env.

En voici quelques-uns :

« Tout lieu clos, tout endroit couvert, tout site enfin,
que la matière circonscrit, protège
la nuit, aussi longtemps que le jour se maintient,
des jeux éblouissants qu’invente le soleil.

Mais quand elle est vaincue par la force du feu,
le soleil, ou quelque lumière plus chétive,
s’attaque à sa divine apparence et l’en prive —
si bien que même un ver l’entame quelque peu.

Ce qui reste accessible au soleil et fermente,
faisant germer ainsi mille graines et plantes,
le rude laboureur l’ouvre avec son araire ;

Mais l’ombre, c’est à planter l’homme qu’elle sert ;
ce pourquoi les nuits sont plus saintes que les jours,
l’homme, entre tous les fruits, ayant valeur première.
 » (Sonnet sur la nuit)

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 » A travailler tordu j’ai attrapé un goitre
comme l’eau en procure aux chats de Lombardie
(à moins que ce ne soit de quelque autre pays)
et j’ai le ventre, à force, collé au menton

Ma barbe pointe vers le ciel, je sens ma nuque
sur mon dos, j’ai une poitrine de harpie,
et la peinture qui dégouline sans cesse
sur mon visage en fait un riche pavement.

Mes lombes sont allées se fourrer dans ma panse,
faisant par contrepoids de mon cul une croupe
chevaline et je déambule à l’aveuglette.

J’ai par-devant l’écorce qui va s’allongeant
alors que par-derrière elle se ratatine
et je suis recourbé comme un arc de Syrie.

Enfin, les jugements que porte mon esprit
me viennent fallacieux et gauchis : quand on use
d’une sarbacane tordue, on tire mal.

Cette charogne de peinture,
défends-la Giovanni, et défends mon honneur :
suis-je en bonne posture ici, et suis-je peintre
? (Sonnet sur le plafond de la chapelle Sixtine)

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 » Voici que le cours de ma vie en est venu
par tempétueuse mer et fragile nacelle
au commun havre où les humains vont rendre compte
et raison de toute œuvre lamentable ou pie.

Dès lors je sais combien la trompeuse passion
qui m’a fait prendre l’Art pour idole et monarque
était lourde d’erreur et combien les désirs
de tout homme conspirent à son propre mal.

Les pensées amoureuses , jadis vaines et joyeuses,
qu’en est-il à présent que deux morts se rapprochent ?
De l’une je suis sûr et l’autre me menace.

Peindre et sculpter n’ont plus le pouvoir d’apaiser
mon âme, orientée vers ce divin amour
qui, pour nous prendre, sur la Croix ouvrit les bras.
 » (Sonnet à Giorgio Vasari)

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 » Tu sais bien que je sais, mon seigneur, que tu sais
que je m’en suis venu jouir de toi de plus près ;
et tu sais que je sais que tu sais qui je suis :
à nous fêter, alors, pourquoi tarder ainsi ?

Si l’espoir dont tu m’as bercé n’est pas trompeur,
s’il est vrai que tu vas combler mon grand désir,
que s’abatte le mur qui les sépare encore,
car le tourment qu’on cèle est un double martyre.

Je n’aime en toi, mon cher seigneur, que cela même
que tu prises le plus : en vas-tu prendre ombrage ?
Mais c’est un esprit qui s’éprend d’un autre esprit !

Ce dont je suis en quête dans ton beau visage,
ce qu’il m’enseigne, autrui ne peut pas le saisir,
et qui le veut apprendre doit d’abord mourir
 » Sonnet à Tommaso Cavalieri)

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 » Lorsque de près, dame que j’aime,

Tu tournes vers moi tes yeux,

Je peux me voir moi-même en eux,

Comme alors dans les miens tu peux te voir toi-même.

Dans tes yeux je me vois, hélas ! tel que je suis

Vaincu par la douleur, chargé d’âge et d’ennuis ;

Et toi, comme une étoile au fond des miens, tu luis.

Et le ciel, contraire à ma joie,

Alors sans doute est irrité

Qu’en des yeux si beaux, – si laid je me voie,

Et que mes yeux si laids reflètent ta beauté !

Et non moins que le ciel est injuste et cruelle

La destinée, hélas ! qui fait que toi, si belle,

Tu descends par mes yeux jusqu’en mon cœur charmé,

Lorsque moi je suis, n’étant pas aimé,

Bien hors de toi, sitôt que ton œil s’est fermé !

Si tu me tiens ainsi loin de toi-même,

C’est que plus ton charme est grand et divin,

Plus mon humble mérite à côté paraît vain ;

C’est qu’il faut, par l’âge et la beauté même,

Être presque égaux, pour qu’on s’aime  » ( à Vittoria Colonna)

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