« Au vent d’orgueil et d’aventure

J’ai tendu ma voile un matin !

L’aube flamboyait, claire à l’Orient lointain ;

Des voix chantaient dans la mâture.

La mer était houleuse, infiniment lointaine,

Sournoise, avec ses jeux d’esclave mal dompté ;

Et mon âme en l’effort de sa virilité

Enfiévrait le bateau de la quille à l’antenne.

Je voulais, dédaigneux du hurlement des vagues

Fuyant sous l’ouragan comme des chiens peureux,

Conquérir l’horizon splendide et fabuleux

Où le jour agonise au sang mouvant des vagues.

Ma volonté marchait, toute nue, au péril,

Forte d’avoir rêvé des nuits nouvelles d’astres.

Et, jeune de n’avoir pas connu les désastres,

Elle allait fière, avec son rire puéril

Vers la menace des destins.

Au vent d’orgueil et d’aventure,

J’ai tendu ma voile un matin.

La mer me fut haineuse et folle. Des années

Coulèrent, et des mois, et le fleuve des jours !

Guetteur impatient des terres désirées,

Je m’en allais vers l’horizon, vide toujours !

La barque lasse, et déjà vieille

D’avoir subi l’assaut dément des flots haineux,

La barque des vieux jours sommeille,

Ancrée aux sables d’or de l’étang lumineux.

Aux bois où la voix se prolonge

Et s’indéfinise en rumeurs,

L’Etang de rêve ouvre ses fleurs,

Et la barque dort sur l’Etang de songe.

L’Etang silencieux berce ma lassitude

Je ne sais rien des vents et des flots que j’oublie,

Et de Là-bas, et de tout ce qui fût ma vie. —

L’Etang, miroir de ciel, peuple ma solitude.

Et je m’attarde exquisement aux eaux trembleuses,

Loin de la mer farouche, heureux et las.

Voici luire aux creux d’ombre des rochers lilas

Les poissons d’or clair aux fuites nerveuses !

L’eau muette sommeille et s’étoile, endormie

Au murmure paisible et ténu des chansons ;

Et sur l’étang de rêve aux lents frissons,

Je veux mourir, un soir, aux seuls bras de l’Amie. » Jacques Arsène COULANGHÉON (Poète français/ Extrait de son recueil Sur l’étang des rêves/1896)

Laisser un commentaire

Tendances