« Ne jamais ternir la couleur, c’est une fleur. Si l’on y passe et repasse le doigt, il n’y a plus de velouté, plus de charme, plus de coquetterie. Et puis ces tons ternes et plombés : il faut les bannir à jamais …  » E.B.

 » La lumière surtout ! Chercher son rayonnement, la fulguration, la condenser, la poursuivre dans sa chaleur. » E.B.

Eugène BOUDIN 1824/1898 – Photo de Pierre PETIT
 » Le peintre Boudin peignant des animaux dans la prairie de Deauville  » 1880 – Henri MICHEL LEVY (Collections du Musée Eugène Boudin/Honfleur)

Après une année 2024 qui a largement rendu hommage au mouvement impressionniste, il était normal de mettre à l’honneur celui qui le premier posera son chevalet hors de son atelier afin de peindre ses paysages en extérieur, à savoir : Eugène BOUDIN – Le père de l’impressionnisme (jusqu’au 31.8.2025) comme l’indique l’intitulé de la magnifique exposition proposée, en huit sections, par le Musée Marmottan-Monet.

 » Tout ce qui est peint directement et sur place a toujours une force, une puissance, une vivacité de touche qu’on ne retrouve pas en atelier. Trois coups de pinceau devant la nature valent mieux que deux jours de travail en atelier au chevalet  » E.B.

Les prêts sont superbes : 80 œuvres viennent de la collection personnelle de Yann Guyonvarc’h (il est l’un des plus gros collectionneur au monde de Boudin) , une dizaine du Musée lui-même, et d’autres du Musée des Beaux-Arts d’Agent, et Musée André Malraux du Havre. Toutes dialoguent merveilleusement bien au travers des magnifiques et lumineux tableaux de Boudin, ses paysages normands, ses plages, les marines de Venise et celles du sud de la France, sans oublier ses incroyables ciels.

« Nager en plein ciel. Arriver aux tendresses du nuage. Suspendre ces masses au fond, bien lointaines dans la brume grise, faire éclater l’azur. Je sens tout cela venir, poindre dans mes intentions. Quelle jouissance et quel tourment ! Si le fond était tranquille, peut-être n’arriverais-je pas à ces profondeurs. A t-on fait mieux jadis ? Les Hollandais arrivaient-ils à cette poésie du nuage que je cherche ? A ces tendresses du ciel qui vont jusqu’à l’admiration, jusqu’à l’adoration : ce n’est pas exagérer. «  E.B.

Boudin a été un homme réputé pour sa simplicité, sa sociabilité, sa modestie, son humilité, un merveilleux autodidacte, passionné par son art, avec un style qui n’appartient qu’à lui, une façon particulière de savoir capter l’instant, la lumière, le mouvement, d’être toujours à la recherche d’un certain équilibre, d’une métamorphose et qui ne cessera jamais de vouloir apprendre encore et encore , donc de s’améliorer. On lui a souvent reproché une impression d’inachevé dans ses tableaux, mais c’était volontaire et très audacieux finalement car en agissant de la sorte, il voulait surtout tenter de traduire l’impermanence des reflets .

Il a vu la nature autrement. Sa peinture et le fait de préférer son exécution en extérieur, sur le motif, plutôt qu’en atelier, vont considérablement influencer les impressionnistes. Il est leur précurseur.

Travailler en plein air à son époque ne fut pas chose facile et ce même s’il en a éprouvé un grand plaisir. Il est souvent tombé malade, affrontant les désagréments de la météo comme le froid, la pluie, le vent etc… sans oublier le transport d’un matériel très lourd. B

 » La nature plus riche que je ne la représente. La nature est si belle que , lorsque je ne suis pas torturé par la pauvreté, je suis torturé par sa splendeur. Quelle chance nous avons de pouvoir voir et admirer les splendeurs du ciel et de la terre. Si seulement je pouvais me contenter de les admirer. Mais il y a toujours le tourment de lutter pour les reproduire, l’impossibilité de créer quoi que ce soit dans les limites étroites de la peinture. E.B.

Sa situation financière a souvent été délicate, notamment lors des crises économiques traversées par la France. Les acheteurs n’avaient alors plus les moyens d’autrefois et  » vendre pour vendre  » à des personnes ne cherchant que le profit, n’était pas le souhait de Boudin. Il a très souvent préféré traiter avec des amateurs qui venaient le visiter dans son atelier, appréciant sincèrement son travail, et témoignant des ressentis de réel plaisir vis-à-vis de ses tableaux.

Parmi les marchands d’art avec lesquels il a entretenu d’excellentes relations, il y eut, en particulier, Ferdinand Martin , un ami du Havre, et le célèbre Paul: Durand-Ruel qui lui aussi le soutiendra beaucoup, et lui redonnera  »l’envie de peindre  » après une baisse de moral et de ventes au début des années 1880 . Il lui rachètera un grand nombre de ses toiles.

Dans les années 1890, c’est réellement la reconnaissance. Il reçoit la Légion d’honneur et de nombreux acquéreurs, qu’il apprécie, se présentent, venus du monde de la littérature, de la musique, de la peinture, comme, pour ne citer qu’eux : Georges Feydeau, Charles Wilfrid, Pieter Van der Veld, Alexandre Dumas fils, Ivan Tourgueniev, Edgar Degas, Paul Signac, Pierre Puvis de Chavannes etc…

L’expo n’omet pas, bien sur, de parler de celui dont il fut le maitre, son ami : Claude Monet « je considère Eugène Boudin comme mon maitre, je lui dois tout et lui suis reconnaissance de ma réussite «  . Les deux hommes se sont rencontrés au Havre en 1856 chez l’encadreur Gravier qui exposait des dessins et caricatures de Monet et des paysages de Boudin. Monet avait 16 ans, et Boudin 35. Au début, le premier n’appréciait pas du tout les paysages du second qu’il trouvait affreux. Ils se croiseront un peu plus tard à nouveau. Boudin lui dira : « Ah c’est vous jeune homme qui faites ces petites choses ! Quel coup de crayon ! c’est enlevé, leste. Bravo ! Il est dommage que vous en restiez là car il y a de la qualité là dedans. Apprenez à voir, à peindre, faites du paysage « . Il lui proposera de le suivre à la campagne pour peindre en extérieur, à Rouelle plus précisément, non loin du Havre.

Monet accepte et achète, pour ce faire, sa première boite de peinture. Ce sera la révélation :  » Je fus illuminé. La lumière venait de jaillir. Je le regardais plus attentivement et ce fut, tout à coup, comme un voile qui se déchire, j’avais compris, j’avais saisi ce que pouvait être la peinture.  » Boudin va lui apprendre la nature, la délicatesse du trait, les effets atmosphériques, l’instantanéité, la passion pour la peinture sur le motif en extérieur, la liberté picturale, l’exécution rapide etc… Il deviendra son mentor. «  Je dois tout à Boudin. Il fut mon initiateur. Il m’a révélé à moi-même et m’a ouvert la bonne voie. Je lui suis reconnaissant de ma réussite et je le considère comme mon maitre  » dira Monet.

 » Sur la plage à Trouville  » 1870 – Claude MONET (Collections du Musée Marmottan-Monet)

Boudin fut surnommé le roi des ciels par Camille Corot . Dumas fils dira  » vous êtes l’homme des ciels par excellence  » . Zola lui trouve une originalité exquise . Courbet affirmera  » Vous êtes un séraphin. Il n’y a a que vous qui connaissiez le ciel  » . Baudelaire écrira, suite à sa visite au Salon de 1859 : » A la fin, tous ces nuages aux formes fantastiques et lumineuses, ces ténèbres chaotiques, ces fournaises béantes, ces firmaments de satin noir ou violet, fripé, roulé ou déchiré, toutes ces profondeurs, toutes ses splendeurs me montèrent au cerveau comme une boisson capiteuse » …

 » La falaise à Étretat soleil couchant  » 1890 (Collections Guyonvarc’h)
 » Pointe du Toulinguet  » 1873 Eugène BOUDIN ( Collections Guyonvarc’h )
 » Avant-port du Havre  » 1885 Eugène BOUDIN (Collections Guyonvarc’h)
« Saint-Valery-sur-Somme / Effet de lune sur le canal  » 1891 – Eugène BOUDIN (Collections Guyonvarc’h)

Ses ciels immenses ont, en effet, occupé une place assez importante dans ses toiles. Il les aime de toutes les manières possibles, quelle qu’en soit la saison : bleus, gris, laiteux, avec ou sans nuage, profonds, capricieux, bouleversés, orageux, lumineux de soleil, entrainants, avec le soleil qui se couche ou qui se lève, et surtout avoir ce bonheur de les peindre :  » en respirant la brise de mer, ou le bon air des champs ou des grèves.

Il fut aussi le peintre des plages :  » je ferai autre chose mais je serai toujours le peintre des plages ». C’est un sujet auquel il s’est intéressé à partir de 1862 que ce soit à Trouville et à Deauville. Des scènes infiniment poétiques, rayonnantes, intimistes. Elles lui procureront une certaine notoriété. « On aime beaucoup mes petites dames sur la place. D’aucuns prétendent qu’il y a là un filon d’or à exploiter. Dieu le veuille.  » E.B.

 » Juliette sous la tente à la plage de Deauville  » 1895 – Eugène BOUDIN (Collections Guyonvarc’h)
 » La plage de Trouville  » 1863 Eugène BOUDIN (Collections Guyonvarc’h)
« La tour Malakoff et le rivage à Trouville  » 1877 -Eugène BOUDIN (Collections Guyonvarc’h)
 » Réunion sur la plage  » 1865 – Eugène BOUDIN (Collections Guyonvarc’h)

Il est vrai que la plage et la baignade devinrent à la mode en 1862 lorsque le train a permis la liaison entre Paris et les villes normandes. Ces sujets se révèleront être très modernes à l’époque, et Boudin en fera sa spécialité. Il peindra des plages avec, souvent, des personnages, notamment des dames de l’aristocratie en crinoline, des enfants, entourés par les cabines de bain, les résidences et les hôtels où tout ce beau monde descend. Il apprécie d’observer les personnes, leurs attitudes, l’ambiance aussi et les bateaux qui passent voiles au vent.

Puis, il délaissera, petit à petit, ce sujet sans pour autant l’abandonner complètement. En effet, dans les années 1880, ce seront des plages désertes qui l’intéresseront.

Boudin est né en 1824 à Honfleur dans une famille très modeste . Il a passé sa jeunesse au Havre, mais reviendra souvent dans sa ville natale pour laquelle il a une profonde tendresse . Son père, Léonard Sébastien, était marin de commerce et sa mère, Marie-Félicie, travaillait dans une compagnie maritime. Il a eu un frère, Louis, et une sœur Désirée. Il restera, toute sa vie, très attaché à sa famille et l’aidera financièrement autant qu’il le pouvait .

Très tôt, il aimera la mer ( mousse sur un bateau à 11 ans) , les ports, les paysages de la côte, les bords de mer, les plages et il aimera peindre tout cela non seulement dans toutes les villes où il se rendra : Trouville, Deauville, Honfleur, le Havre, Etretat, sans oublier celles de la Bretagne, du sud de la France, les Pays-Bas, Belgique, et l’Italie ( Venise notamment) .

 » Venise le Campanile et le Palais ducal  » 1893 Eugène BOUDIN (Collections Guyonvarc’h)

Même si il reste profondément attaché à sa région, il aimera beaucoup voyager avec dans ses bagages, ses toiles, ses pinceaux, ses crayons, ses carnets. Le but principal de ses déplacements étant de vouloir trouver d’autres sources d’inspiration.

En 1836, il sera commis chez un imprimeur du Havre, puis douze ans plus tard, il ouvrira sa propre boutique de papetier-encadreur. Là se croisent de nombreux artistes comme Jean-François Millet ou Thomas Couture qui vont encourager cet autodidacte dans son métier de peintre. Il se rend à Paris, copie les grands maîtres vénitiens et hollandais exposés au Louvre.

La critique le remarque. Ses tableaux lui permettent de vivre de sa peinture. Il participera même à la première expo des impressionnistes en 1874, invité par Monet. Il souhaitera, toutefois, ne pas être considéré comme faisant partie du mouvement et va préférer rester indépendant parce qu’il trouvait qu’il manquait un peu de rigueur technique à ces peintres … « J’ai peut-être eu ma petite part d’influence dans le mouvement qui porte la peinture vers l’étude de la grande lumière, du plein air et de la sincérité dans la reproduction des effets du ciel.

En 1862, il va préférer se retirer à Trouville et commence sa peinture des plages, ce qui en étonnera plus d’un. Un an plus tard il épouse celle qui partagera sa vie à savoir son épouse Marie-Anne Guèdes. La mort de cette dernière en 1889 l’affectera énormément et sa santé se dégradera lentement. Son médecin lui conseillera de partir vers des régions plus chaudes. Il choisit de se rendre dans le midi en 1892, découvre d’autres ciels tout aussi fascinants, intense, lumineux et continue de peindre en extérieur sur le motif.

 » Juan-les-pins/Antibes / La promenade et la baie » 1893 Eugène BOUDIN (Collections Guyonvarc’h)

Dans ses tableaux on trouve, comme je l’ai dit au début de ce post, des ciels, des plages, mais il s’est également intéressé aux paysans, aux activités de la ferme, aux animaux qui gravitent tout autour, comme les vaches par exemples, ainsi qu’aux lavandières. Ce sont des œuvres qui transmettent toujours un sentiment de tranquillité et sérénité.

 » Les lavandières au bord de la Touques » 1894 Eugène BOUDIN (Collections Guyonvarc’h)
« Vaches dans le pâturage  » 1880/85 Eugène BOUDIN ( Collections du Musée Marmottan-Monet/Paris)
 » Petite métairie aux environs de Honfleur  » 1856/60 Eugène BOUDIN (Collections Guyonvarc’h)

Il meurt à Deauville en août 1898 des suites d’un cancer de l’estomac. Il sera enterré auprès de son épouse au cimetière Saint-Vincent de Montmartre à Paris.

 » Je n’ai pas de prétention, croyez-le bien, de tenir une si grande place parmi les contemporains. Je suis un isolé, un rêvasseur qui s’est trop complu dans un coin à regarder le ciel. L’avenir fera de moi ce qu’il fait de nous tous. J’ai bien peur que ce soit de l’oubli. » Eugène BOUDIN

« Il avait le don de la vie. On la sent dans les ciels aux nuages d’un gris sombre auxquels il se plaisait, dans ses flottilles de bateaux de pêche, dans les groupes de gens de mer ou de gens du monde en villégiature, dont il peuplait ses plages. Son pinceau avait des finesses de colorations exquises. Et ce talent exact et sincère, poétique aussi, était si bien marqué d’une empreinte personnelle, que devant une toile de Eugène Boudin il n’était guère possible de mettre un autre nom que le sien. L’artiste que nous regrettons aura sa place parmi ceux à qui ne manquera jamais le suffrage des délicats. Il laisse de belles œuvres, il laisse un bel exemple. Il aima l’art non pour la célébrité ou pour le profit, mais pour l’art lui-même. «  Mr Albert KAEMPFEN directeur des musées nationaux à la mort du peintre.

6 réponses à « Eugène BOUDIN – Le père de l’Impressionnisme (Une collection particulière) … »

  1. Très belle (re) découverte pour moi.
    Il y a une telle fraîcheur dans ses tableaux.
    Ils vous captivent immédiatement…
    Merci beaucoup 🙏

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    1. Avatar de Lisa Pascaretti
      Lisa Pascaretti

      Il m’est toujours très agréable de savoir que l’un de mes articles permette que l’on re-découvre un artiste et je vous remercie vivement pour votre message. Votre appréciation est tout à fait juste : ce sont des tableaux, en effet, plein de fraicheur, de lumière, de sérénité et, c’est vrai, captivants ! Merci James, ♥🎨

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  2. Avatar de Joelle Willems
    Joelle Willems

    Quelle étude passionnante ! J’aime les peintres de cette époque qui donne un regard sur la société, les mœurs, la vie de leur temps, un regard acéré comme souvent les peintres de genre en sont capable. Merci pour le partage.

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    1. Avatar de Lisa Pascaretti
      Lisa Pascaretti

      Je suis vraiment heureuse que vous ayez aimé mon article sur ce merveilleux peintre. On a tant parlé de l’impressionnisme l’an dernier qu’il était juste de rendre hommage à celui qui en fut le précurseur. D’autant que ses tableaux sont si beaux. Merci beaucoup pour votre commentaire et votre appréciation Joelle ♥🎨

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  3. Je vais avoir beaucoup de joie à aller à Marmottan, ces temps-ci ! Grand merci pour ce beau retour ❤️

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    1. Avatar de Lisa Pascaretti
      Lisa Pascaretti

      C’est gentil Tatoune et c’est moi qui vous remercie pour votre intérêt. Nous avons la grande chance, jusqu’à l’été, d’avoir des expositions assez passionnantes et Boudin en fait partie. Je pense, en effet, que vous aurez plaisir à voir cette si belle expo. Merci encore ♥🎨

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