
» Le jour où un enfant décide d’aborder la danse, il aura , à peu près partout, à quelque pays qu’il appartienne, le même rythme de vie, mais il existe un fil d’Ariane qui relie tous les danseurs du monde : c’est le langage du ballet classique, codifié en français. Pour expliquer la vie d’un danseur, il faut d’abord parler de l’enfant qui va débuter dans l’apprentissage de cet art. La majorité des élèves n’ont pas, ou peu, de parenté avec la danse et son milieu. C’est donc le hasard qui va , la plupart du temps, guider les parents vers un studio de danse. L’enfant qui n’a de notion de la danse que par son instinct, va entrer dans un monde fascinant.
C’est avec, et par la danse, qu’il va découvrir une machine fabuleuse : son corps. Apprendre à se connaitre, à se dompter, à se mouvoir dans l’espace, la grâce, la souplesse, la maîtrise de ses gestes, appris et réappris chaque jour. Ce sera l’école de la patience, de la volonté. Avec beaucoup de persévérance, il saura, au fur et à mesure des années, exprimer tous les sentiments avec son corps pour unique instrument.
Avant d’être un danseur de métier, il faudra au minimum dix ans d’études journalières, avec, en plus, une scolarité normale. La carrière d’un danseur commence très tôt. Dès l’âge de neuf ans, celui-ci devra régulièrement suivre des classes de danse plusieurs fois par jour. Mais il est indispensable que la scolarité (mathématiques, français etc…) soit poursuivie avec rigueur également. Le temps est toutefois limité, la solution sera le travail à mi-temps. Solution adaptée, en particulier, à l’Opéra de Paris. Les élèves ont trois heures de danse le matin, deux fois une heure trente, et le collège ou lycée l’après-midi.
La silhouette du danseur , petit ou grand par l’âge ou par la renommée, sera le même grâce à un objet qui caractérise bien la vie de nomade que vivent les artistes : un énorme sac sur l’épaule ou à bout de bras, dans lequel le danseur transporte des éléments nécessaires à son travail : maillot de jambe, justaucorps, chaussons de danse (toujours plusieurs paires) , tout est toujours minium en double, sait-on jamais ? Les bouts d’élastique, les épingles à cheveux, la colophane pour éviter les glissades malencontreuses etc… une vie commune dans le fond ‘un sac. Ce fourre-tout suivra toujours le danseur.
Toute une vie, commencée pour la plupart à dix ans, tant d’années de travail, de joies, de luttes, de larmes, d’espoirs, d’acceptations de sa condition, corps de ballet ou soliste, tous ces instants vécus au sein même d’un clan, ne peuvent s’effacer facilement parce que l’âge arrive et que le temps de danser est passé. Être rejeté , parce que la technique n’est plus sûre, laisse une blessure profonde qui ne se cicatrisera jamais complètement. Le danseur reste un écorché vif qui s’accroche à ses souvenirs et parfois s’y englue. Il lui faudra beaucoup de courage et de patience pour accepter les rigueurs du temps. Un peu de compréhension et d’humanité suffirait à préparer le danseur aux ruptures dans l’accompagnement de son art.
C’est moralement qu’il faut préparer le danseur dès son plus jeune âge. Sa culture est généralement vaste, musique, peinture, histoire de l’art, connaissance du corps humain, et tant d’autres choses accumulées durant toute sa carrière et dont il pourra se servir par la suite. Il y a de nombreux pays où un danseur est reconnu comme le vivant reflet d’une vaste culture qui, de surcroît, de nos jours, est la plus populaire de toutes. La décision inconsciente prise à dix ans de consacrer toute une vie à son art, ne doit pas se retourner contre le danser, mais, au contraire, lui conférer le plus grand prestige aux yeux de tous. C’est à nous, les aînés d’aujourd’hui, qui connaissent toutes les grandeurs et les servitudes de l’art de la danse, de faire en sorte que l’avenir, des jeunes danseurs de demain , soit radieux.
» Claude BESSY (Danseuse-Étoile, chorégraphe, directrice de l’École de danse de l’Opéra de Paris de 1972 à 2004)







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