» Il faut commencer par se bien dire à soi-même, et par se bien convaincre, que nous n’avons rien à faire dans ce monde qu’à nous y procurer des sensations et des sentiments agréables. Les moralistes qui disent aux hommes :  » réprimez vos passions et maîtrisez vos désirs si vous voulez être heureux  » ne connaissent pas le chemin du bonheur. On n’est heureux que par des goûts et des passions satisfaites. Je dis des goûts parce qu’on n’est pas toujours assez heureux pour avoir des passions, et qu’à défaut des passions, il faut bien se contenter des goûts. Ce serait donc des passions qu’il faudrait demander à Dieu si on osait lui demander quelque chose.

Mais, me dira t-on , les passions ne font-elles pas plus de malheureux que d’heureux ? Je n’ai pas la balance nécessaire pour peser en général de bien et le mal qu’elles ont fait aux hommes. Mais, il faut bien remarquer que les malheureux sont connus parce qu’ils ont besoin des autres, qu’ils aiment à raconter leurs malheurs, qu’ils y cherchent des remèdes et du soulagement. Les gens heureux ne cherchent rien et ne vont point avertir les autres de leur bonheur. Les malheureux sont intéressants, les gens heureux sont inconnus.*

On connait bien plus l’amour par les malheurs qu’il cause que par le bonheur souvent obscur qu’il répand sur la vie des hommes. Mais, supposons , pour un moment, que les passions fassent plus de malheureux que d’heureux, je dis qu’elles seraient encore à désirer parce que c’est la condition sans laquelle on ne peut avoir des grands plaisirs. Or, ce n’est la peine de vivre que pour avoir des sensations et des sentiments agréables ; et, plus les sentiments agréables sont vifs, plus on est heureux. Il est donc à désirer d’être susceptible de passions et, je le répète encore : n’en a pas qui veut.  » Émile du CHÂTELET (Femme de Lettres, mathématicienne française, physicienne – Extrait de son ouvrage Discours sur le bonheur écrit entre 1744 et 1746)

Émilie du CHÂTELET 1706/1749

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