
» Il est des cœurs épris du triste amour du laid.
Tu fus un de ceux-là, peintre à la rude brosse
Que Naples a salué du nom d’Espagnolet.
Rien ne put amollir ton âpreté féroce,
Et le splendide azur du ciel italien
N’a laissé nul reflet dans ta peinture atroce.
Chez toi, l’on voit toujours le noir Valencien,
Paysan hasardeux, mendiant équivoque,
More que le baptême à peine a fait chrétien.
Comme un autre le beau, tu cherches ce qui choque :
Les martyrs, les bourreaux, les gitanos, les gueux
Étalant un ulcère à côté d’une loque ;
Les vieux au chef branlant, au cuir jaune et rugueux,
Versant sur quelque Bible un flot de barbe grise,
Voilà ce qui convient à ton pinceau fougueux.
Tu ne dédaignes rien de ce que l’on méprise ;
Nul haillon, Ribeira, par toi n’est rebuté :
Le vrai, toujours le vrai, c’est ta seule devise ! …. » Théophile GAUTIER (Poète français / Vers extraits de son poème Ribera – Recueil Espana / 1844/45)

Le ténébrisme ( tenebroso en italien) est une technique picturale importante de l’époque baroque qui permet d’apporter un côté éclairé, lumineux et contrasté entre des zones claires et d’autres profondément sombres, ce qui donne ainsi du relief. On la doit au Caravage. Elle a été très novatrice, captivante, révolutionnaire, employée, à part lui, par des peintres non seulement italiens mais européens aussi.
Parmi eux, il y a celui qui fait l’objet d’une superbe exposition ( une première rétrospective dans notre pays) proposée par le Petit Palais à Paris, intitulée RIBERA – Ténèbres et Lumière ( jusqu’au 23.2.2025) – A travers une centaine de tableaux, dessins, gravures, prêts notamment de nombreuses institutions muséales : Le Metropolitan Museum (New York) – Musée du Prado (Madrid) – Musée des Beaux-Arts San Fernando (Madrid) – Galerie Borghese( Rome) – Musée Capodimonte (Naples) – Palazzo Pitti (Florence) – Musée du Louvre (Paris) – Musée des Beaux-Arts de Rennes – Musée Fabre de Montpellier etc etc…
Un artiste hors-pair du Siècle d’or de la peinture, talentueux, radicalement extrême, doté d’un grand réalisme, prolifique, excellent dessinateur et bon graveur, maître de la composition sachant rendre presque vivants les personnages de ses portraits. Une peinture assez violente mais incroyablement bouleversante et poétique. Ses personnages sont souvent des martyrs, des marginaux, des persécutés, des suppliciés, des infortunés, des écorchés de la vie.



Beaucoup de sujets religieux aussi, notamment les apôtres, souvent représentés lumineux dans un fond sombre, pour mieux faire ressortir le côté divin de leur personne. Ils ont été regroupés, tous dotés d’une grande authenticité, en séries (Apostolados-Apôtres). Il s’agissait souvent de commandes particulières. On trouve également le Christ, et des scènes de la nativité.









Parmi ses sujets figurent également le thème Les cinq sens : à savoir l’odorat, le goût, la vue, le toucher, l’ouïe. Des tableaux magnifiques, saisissants de réalisme. Une commande d’un diplomate espagnol , un grand mécène caravagesque : Pedro Cossida (nom italien : Pietro Cussida), un proche de Philippe III et Philippe IV d’Espagne. Ce ne sera pas la seule commande qu’il lui fera. Il ne reste, désormais que 4 tableaux car pour l’Allégorie de l’ouïe, ce ne sont, malheureusement, que des copies.




Connu et célèbre en Italie (il tient une place éminente dans l’École italienne) et en Espagne (qui le revendique comme étant SON peintre) , un peu moins en France (même si on l’a longtemps pensé issu de cette nationalité, et présent dans les collections françaises). Il fut très influencé par le caravagisme dont il dépassera les bases fondamentales en accentuant la lumière et l’ombre, et saura parfaitement diriger, tel un chef d’orchestre, les couleurs, la luminosité, les formes.
Jusepe de Ribera, né en 1591 à San Felipe (autrefois Jativa), près de Valence en Espagne dans une famille plutôt modeste. Son père Simon est cordonnier et se mariera trois fois. De ses précédentes unions il aura deux fils Juan et Jeronimo. C’est de la troisième, Margarita, que naîtra Jusepe.
Beaucoup affirment que Ribera fut, en Espagne, l’élève de Francisco Ribalta (peintre réputé pour avoir fait entrer le ténébrisme dans son pays). Rien ne peut l’affirmer ; du coup ses débuts d’adolescent en peinture sont assez flous.
Il quittera l’Espagne très jeune, à 15 ans et se rendra en Italie, à Rome au départ en 1606. C’est là qu’il découvre, fasciné, la peinture du Caravage et de Michel Ange. Très vite, on le surnomme Spagnoletto en raison de ses origines et de sa petite taille.
Dans la capitale italienne, il va mener une vie de bohême, dissolue. A l’époque où il arrive, Caravage a quitté Rome (en 1607) . Compte tenu du fait que ce dernier est décédé en 1610, on ne peut affirmer que Ribera ait pu le croiser dans les bas-fonds de la ville. Pourtant bien des historiens ont imaginé que cela ait pu être possible.
Ribera fut, incontestablement, ce que l’on appelle un suiveur du Caravage. En tant que tel, il figure aux côtés de ceux que l’on considère comme ayant été les meilleurs : Cecco del Caravaggio, Bartolomeo Manfredi et Lo Spadarino. Chacun d’entre eux, plus ou moins connus, a été influencé par le maître, et a donné son interprétation personnelle de l’influence qu’il a pu laisser sur eux . De Ribera on affirme qu’il eut une radicalité encore plus importante que Caravage, qu’il fut plus doué que lui, plus théâtralement dramatique, plus sombre et plus violent dans sa peinture.
De sa carrière picturale à Rome, il ne restait que très peu de tableaux issus de cette période. On peut même dire que sa production romaine était quasi inconnue. Fort heureusement, un historien de l’art, italien, Gianni Papi (Professeur à l’université de Florence, un grand spécialiste des peintres caravagesques) a pu, grâce à ses longs travaux de recherches, publiés dans la revue Paragone en 2002, attribuer la paternité de certaines toiles à Ribera, notamment celles nommées par Roberto Longhi : Le Maître du jugement de Salomon. Alors que Longhi et avec lui, tout un tas d’autres, comme par exemples, Pierre Rosenberg, Arnaud Brejon de Lavergnée, Jean-Pierre Cuzin etc… s’étaient refusés, jusque-là, à admettre que Ribera puisse en être le peintre, que les tableaux étaient plutôt issus de la main d’un peintre français.

L’exposition du Petit Palais a pour but, justement, de nous faire connaitre son parcours, tout en se référant aux dernières découvertes scientifiques qui ont permis de faire ressortir et enrichir sa production romaine (on parle de 60 ou 80 tableaux).
C’est à Rome qu’il établit les bases principales de sa peinture. Il y sera très actif. Son travail va attirer de très belles commandes de la part de riches collectionneurs italiens et espagnols. Il se fait un nom, une réputation, appartient à l’Académie Saint Luc.
Après la capitale, il se rendra à Parme , puis à Naples (foyer artistique brillant et très recherché à l’époque ) où il arrive en 1616 – Sa façon de vivre ne sera plus la même, il s’assagit, se range, se marie avec Catalina, fille d’un peintre local Gian Bernardino Azzolino dit Il Siciliano . C’est là que se fera la majeure partie de sa carrière. Son travail, prestigieux, va beaucoup plaire, il deviendra célèbre et bénéficiera de la protection du vice roi espagnol le duc d’Osuna. Les commandes affluent, sa réputation dépasse les frontières de l’Italie. Il rayonne, gagne de l’argent, achète une très belle maison et roule en carrosse.
Il met sa peinture au service de la royauté, de l’église, des aristocrates. On aime énormément son inventivité , sa virtuosité technique,; sa sensibilité spirituelle, ses œuvres éloquentes et monumentales, sa vibration chromatique. Durant les soulèvements révolutionnaires de Masaniello, il se réfugiera au Palais Royal de Naples, puis retournera, après, chez lui à Porta di Santo Spirito.
Il décède, auréolé de gloire, en 1652 à Naples des suites d’une longue maladie qui commencera en 1643 . Celle-ci l’obligera souvent à faire appel à ses élèves (parmi lesquels figure Luca Giordano) , dans son atelier, pour l’aider picturalement parlant. Il est enterré en l’église Santa Maria del Parto (quartier de Mergellina/Naples).
Une ombre toutefois sur cette fin de vie : le fils adultérin de Philippe V d’Espagne, à savoir Don Juan d’Autriche eut une relation avec l’une des filles du peintre; il l’enlèvera ce qui fera scandale. Une petite fille naitra de cette relation illicite et sera enfermée dans un couvent en Espagne. Ribera ne la connaitra jamais.







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