» Portrait de fou regardant entre ses doigts  » 1548 env. / Maître de 1537 – (The Phoebus Foundation / Anvers ( un détail du tableau illustre l’affiche de l’expo)

 » Je conviens que les Princes ne peuvent souffrir qu’on leur dise leurs vérités. Mais c’est aussi ce qui fait le plus d’honneur aux fous, car ils ne dissimulent point les défauts et les vices des rois. Que dis-je ? Ils s’échappent le plus souvent jusqu’à les insulter et même jusqu’à leur dire des injures sans que ces maîtres du monde s’en fâchent ou s’en offensent. Des paroles qui feraient pendre Monsieur le philosophe s’il proférait. Sortent-elles de la bouche d’un fou ? Le Prince en rit de bon cœur !  » Érasme (Philosophe – dans son ouvrage l’É loge de la folie / 1511 )

« Les fous sont absolument partout. Ils permettent d’avoir une vision intime et rapprochée de la pensée, de la culture et l’art du Moyen-Âge et de la Renaissance, ce moment de passage vers les temps modernes. Le fou est une figure clé, témoignant de l’évolution de notre histoire. » Élisabeth KÖNIG (Commissaire de l’exposition)

Voilà une exposition fort intéressante, surprenante, et passionnante, organisée par le Musée du Louvre, avec le soutien des mécènes du Louvre, la Fondation Etrillard et la Medieval Society de New York.

Elle s’intitule Les figures du Fou – Du Moyen-Âge aux romantiques (jusqu’au 3.2.2025) et se déroule de façon chronologique et thématique dans le Hall Napoléon fraîchement rénové. Plus de 300 œuvres diverses et variées y sont présentées : peintures, sculptures, enluminures, terres cuites, objets divers, tapisseries, manuscrits etc… prêts de 90 prestigieuses institutions muséales, françaises et étrangères, avec une mission : nous faire découvrir l’univers du fou, personnage insolent, extravagant, amuseur populaire au pouvoir libérateur, son évolution, le rôle qu’il a tenu à une certaine époque, à savoir durant le Moyen-Âge, et plus encore à la Renaissance (son Âge d’or) , son omniprésence dans l’art et la culture. On comprend qu’il ait pu être une source d’inspiration pour de nombreux artistes.

Pour l’occasion, Notre-Dame de Paris a prêté des superbes chimères qui sont là pour rendre hommage, en quelque sorte, au roman de Victor Hugo et surtout à son très touchant Quasimodo, dit Le Pape des fous

Marotte – Seconde moitié du XVIe siècle – (Muzeo Nazionale del Bargello / Florence)
 » Gobelet en forme de tête de fou  » 1570 env. (Musée d’Histoire / Berne)
 » Le fou de peur  » (portrait de l’artiste) 1844 / 48 Gustave COURBET (Nasjonalmuseet for Kunst, Arkitektur og Design / Osio )
 » La fête des archers d’Anvers  » 1493 env. par Le Maître de Francfort ( KMSKA / Anvers)

Attention, en parlant de fou , il ne s’agit pas d’aliéné mental relevant de la psychiatrie (bien que la folie soit quelque peu évoquée selon les œuvres présentées) mais d’un personnage né au Moyen-Âge, dont la figure a fait l’objet de diverses représentations au fil du temps, qui a connu son âge d’or durant la Renaissance, s’est fait oublier au XVIIe, est revenu au XVIIIe avec la Commedia dell’arte.

Apparu, au départ, dans le religieux, plus précisément dans les psautiers, à savoir recueils de psaumes, tel un errant, un vagabond qui ne croyait pas en dieu et vivait en marge de la société. Il peut apparaitre comme une personne avec un handicap physique (nanisme).

 » Les mendiants ou les culs-de-jatte  » 1568 – Pieter BRUEGEL l’Ancien ( Musée du Louvre/Paris) – Un tableau qui a amené plusieurs significations : le port d’une coiffe sur la tête des mendiants peut être une référence définissant la classe sociale de chacun / ou bien ce pourrait être une représentation d’une critique sociale  » le mensonge marche comme l’estropié avec des béquilles  » / ou bien encore la représentation d’une fête donnée au moment de l’Épiphanie et durant laquelle les mendiants venaient interprétaient des chants et demandaient l’aumône dans les rues.  »

Il existe aussi ce que l’on a appelé les fous de Dieu avec comme exemple Saint François d’Assise qui avait renoncé à sa fortune pour la pauvreté et transmettre la parole du Christ, et qui dira un jour je suis un nouveau fou de Dieu.

 » L’insensé  » vers 1386 dans  » Psautier du duc de Berry, Psaume 52 foglio  » -Enluminure sur parchemin (Bibliothèque nationale de France BNF/Paris)
 » Le fou du roi  » – 1490/95 François LE BARBIER Fils – Dans  » Psolterium latino-gallicum  » dit  » Psautier de Charles VIII  » Enluminure sur parchemin manuscrit ( Bibliothèque nationale de France BNF/Paris)
 » Saint François prêchant aux oiseaux  » – Anonyme – 1280/1299 – Psautier livre d’heures de Yolande de Soissons Folio 2r – enluminure sur parchemin – (The Morgan Library & Museum / New York)
 » Margot la Folle  » 1561 Pieter BRUEGHEL l’Ancien ( Ce tableau , qui fait partie des collections du Museum Mayer Van Der Bergh / Anvers, est hors expo – Il n’y a qu’un dessin préparatoire pout y faire référence. – Margot la Folle était une marginale, sorcière proche du diable, agressive, qui fait partie du folklore médiéval allemand. Brueghel s’est inspiré de son histoire)

Plus tard, il devient l’amuseur professionnel marginal, celui que l’on retrouve dans les fêtes populaires, les carnavals, les Cours royales ( au milieu des musiciens, danseurs et des mimes) pour divertir et le roi et tous ses courtisans avec ses blagues, bouffonneries, railleries, parodies. Il se moquait aussi des gens du peuple, des paysans, des médecins, voyageurs, clercs, cuisiniers etc… et donnait des spectacles qui pouvaient être érotiques, tragiques, voire même assez violents parfois.

Personnage excessif, extravagant, le fou avait une grande liberté d’expression, souvent de l’esprit, de la répartie. Il savait manier les bons mots et était doté, quoi qu’on en pense, d’une certaine intelligence. Il raillait, persiflait, dénonçait, tutoyait, cassait les codes de la bienséance, singeait les vices de la Cour, des nobles, faisait des remarques désobligeantes sur le ton de la plaisanterie pour mieux qu’elles soient acceptées des courtisans, et se permettait même de critiquer la politique du roi en racontant des petites histoires amusantes qui finalement passaient bien.

Il était d’origine plutôt modeste, sans titre de noblesse. Le roi avait pour mission de lui assurer protection, lui offrir une rémunération, le gîte et le couvert. En échange de quoi il se devait de le faire rire. Ce n’était pas une demande, mais une obligation. Lui changer les idées car ses responsabilités royales étaient parfois très pesantes. D’un autre côté, on lui permettait de s’exprimer et donner son avis y compris sur la politique royale menée par le roi. On le sollicite même pour le faire.

On l’a surnommé le grimacier ou le rechigneur. Au Moyen-Âge il était le fou, puis il disparaitra pour devenir le bouffon ou le nain à la Renaissance . Du coup, son image sera différente de celle que l’on avait pu avoir auparavant. On le reverra plus tard, comme je l’ai dit, parmi les personnages de la Commedia dell’arte.

Il y a en a eu des très célèbres comme Triboulet à la Cour de François Ier qui siégeait au Conseil du roi et donnait son avis. Le roi l’adorait. Victor Hugo en fera le héros principal dans l’une de ses pièces … D’Angely officiait, quant à lui, à la Cour de Louis XIII puis celle de son fils Louis XIV par la suite.

Mais il y en eut d’autres, tout aussi connus : Pietro Gommella à la Cour d’Este, Brusquet à la Cour de François II et Charles IX – Chicot , puis Joubert à celle de Henri IV – Pape Theum à celle de Charles Quint à Bruxelles et … mais oui une femme Mathurine de Valois bouffonne à la Cour de Henri III.

Certains de ces fous , ayant pour mission de divertir , n’avaient de  » fou  » que le nom, et ont dû être confrontés à des souverains qui, eux, parfois, n’avaient pas toutes leurs facultés mentales !

L’expo nous le montre sous tous ses aspects : extravagant, bizarre, étrange, grotesque, comique, inquiétant vêtu, très souvent, d’un costume avec des couleurs assez vive, sur la tête des oreilles d’âne ou une crête de coq, une marotte (bâton) ou un chapeau à grelots, à plumes, ou un capuchon.

 » Un bal après la perte de Smolensk  » 1862 Jan METEJKO (Muzeum Narodowe / Varsovie) L’homme sur le fauteuil est le fou du roi Sigismond Ier )
Bec de fontaine représentant un bouffon – Seconde moitié du XVe siècle (Kunsthistoriches Museum / Vienne )
Casque d’armure que Maximilien Ier de Hasbourg a offert à Henri VIII en 1512/14 ( Royal Armouries Museum / Londres)
 » Portrait d’un fou  » 1519/2O Marx REICHLICH (Yale University Art Gallery/New Haven)
 » Fou avec une cuillère  » 1525/30 Quinten METSYS (The Phoebus Foundation/Anvers)
 » Le danseur mauresque , dit le Magicien  » 1480 env. Josef BAUMGARTNER et artisans d’après Erasmus Grasser (Münchner Stadtmuseum/ Francfort )
 » Projet de costume pour Rigoletto, définitif  » Ludovic Napoléon LEPIC ( Bibliothèque nationale de France BNF / Paris )

De tous temps l’art a représenté les fous, que ce soit dans des tableaux, sculptures, objet, orfèvrerie, tapisserie, dans une représentation de créature étrange, bizarre mais souriante aussi . On note également sa présence dans la littérature courtoise, notamment les romans de chevalerie où les folies de l’amour y sont souvent évoquées. Il se présente comme une sorte de moralisateur pour les ridiculiser, introduisant l’idée, comme le souligne la commissaire de l’expo, Elisabeth Antoine König que l’amour est une folie, une dépossession de soi et qui entraîne l’homme vers des extrémités qui lui font perdre la tête. Il apparait alors comme un personnage lubrique, allégorique et symbolisant la luxure. »

 » Aristote et Phyllis  » 1380 env. Anonyme (Metropolitan Museum of Art / New York)
Porte-serviette  » Fou enlaçant une femme  » 1535 env. Arnt VAN TRICHT – (Museum Kurkhaus Kleve/Clèves)
 » Plus on est vieux, plus on est fou / Le vieillard amoureux  » Second tiers du XVIe siècle – Maître Du Fils prodigue (Peintre anonyme flamand) ( Musée de la Chartreuse /Douai )
« Amants surpris par un fou et par la Mort  » 1535/30 Pieter COECKE (Collection particulière)
 » Coffret en ivoire et cuivre  » 1300/1310  » Assaut du château d’amour avec Tristan en fou  » ( Musée national du Moyen-Âge de Cluny / Paris)

La littérature fait référence à lui dans des enluminures manuscrites également , des traités de philosophie, des livres de droit et autres ouvrages dans lesquels on nous explique la naissance et l’évolution de cette figure à la fois comique mais aussi inquiétante. La nef des fous ( fols) fut un poème satirique médiéval, assez long, écrit par Sébastien Brant (docteur en droit) paru en Allemagne fin du XVe siècle, avec beaucoup d’illustrations , qui a connu un énorme succès et dont se sont inspirés des peintres dont Jérôme Bosch. Dans cet ouvrage qui sera traduit en différentes langues, dont le français, et qui deviendra une référence, il fait une critique très acide des hommes, ses contemporains, tous ces fous issus de toutes les classes sociales.

‘ » La nef des fous  » Jérôme BOSCH 1505/15 env. (Musée du Louvre)
 » Concert dans un œuf  » d’après Hyeronimus BOSCH – Milieu du XVIe siècle (Palais des Beaux Arts / Lille )

4 réponses à « Figures du Fou – Du Moyen-Âge aux romantiques … »

  1. J’ai redecouvert cette exposition avec vos photos de très bonne qualité. Merci de me l’avoir commentée en détail cela donne envie d’y retourner

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    1. Avatar de Lisa Pascaretti
      Lisa Pascaretti

      Avec plaisir … C’est un thème très original choisi par le Musée du Louvre et j’espère que cela donnera envie, peut -être, d’une exposition à la fois sur l’aliénation mentale qui a fasciné de très nombreux artistes ( Géricault , Caravage etc…) mais également sur les troubles mentaux dont ont souffert certains artistes eux-mêmes (Van Gogh ou Claudel par exemple) . Je trouve que ce serait bien d’élargir un peu plus le sujet. Merci pour votre intérêt Miriam ♥🎨

      Aimé par 2 personnes

    1. Avatar de Lisa Pascaretti
      Lisa Pascaretti

      Je suis ravie que cela vous ait plu chère Laura ! Un grand merci ♥🎨

      Aimé par 1 personne

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