
» Watteau, ce carnaval où bien des coeurs illustres,
Comme des papillons, errent en flamboyant,
Décors frais et légers éclairés par des lustres
Qui versent la folie à ce bal tournoyant » Charles BAUDELAIRE ( Poète français / Extrait de son poème Les Phares – Les fleurs du mal (Spleen et Idéal)
» C’est le tableau énigmatique du Louvre par excellence » Bernard DUFOUR (Peintre et écrivain)
» Watteau, en première ligne, avec son Pierrot (regardez-le comme il est gentil et narquois ! ) de grandeur naturelle, tout en blanc, peint librement et brillamment comme un Rubens ou un Vélasquez » Théophile GAUTIER (Écrivain et poète français, parlant du tableau vu chez Mr Lacaze rue du Cherche-Midi)
» Par-delà l’étrangeté du Pierrot au premier plan qui nous regarde avec mélancolie – représenté en pied, frontalement, dans son costume tout blanc et trop vaste -, voici une œuvre énigmatique par excellence » Gilles FAROULT (Commissaire et conservateur au département peintures du Louvre)
Le Musée du Louvre nous propose de partir à la redécouverte d’un tableau que nous connaissons bien, au travers d’une exposition merveilleuse qui s’intitule Revoir Watteau – Un comédien sans réplique, Pierrot dit Le Gilles … jusqu’au 3.2.2025. – Elle réunit non seulement des œuvres de Watteau (peintures et dessins), mais également de nombreux autres tableaux de peintres de peintres , dessinateurs, graveurs, photographies et documents issus des collections du Louvre bien sur, ainsi que des prêts de différentes institutions muséales françaises et étrangères.
« Le Louvre possède le fameux Gilles, tableau de haute virtuosité dont l’harmonie savante des gris calmes et froids monte et s’exhale en un accord puissant. Dans le costume de satin, dont la blancheur mariée par ses reflets aux tons du paysage, se dore sous la lumière, s’adoucit dans l’ombre en gris argentins, debout les bras ballants, Pierrot se détache sur le ciel bleu que réchauffe une brume ensoleillée, tandis que, par le chemin creux qui longe le tertre où se dresse la blanche image, avec un fruit de fanfare, dévale la troupe bigarrée, le minois rose et hardi de Colombine et la tête grise du baudet à l’œil doux qui, tiré par quelque Scapin à la veste éclatante, ploie sous le poids du noir docteur. Pierrot , dont la face blême, suspendue entre les grimaces du rire et des larmes, dit la mélancolie du plaisir, la fête et ses lendemains … » Gabriel SÉAILLES ( Historien français en philosophie)
Il s’agit d’une grande toile (1,84×1,49) restaurée profondément, et analysée avec soin, il y a peu de temps, par le C.R.R.M.F. (Centre de recherche et restauration des musées de France)pour lui redonnait l’éclat de ses débuts et l’harmonie de ses tons clairs, notamment en retirant un vernis jaunâtre et des ajouts de peinture qui, petit à petit, nuisaient à sa lecture. Une initiative formidable pensée par Guillaume Faroult (Commissaire, et conservateur en chef /Département peintures du Louvre) – Bénédicte Tremolières (Restauratrice de couche picturale) et Clarisse Delmas (Responsable des ateliers des peintures au C.R. R. M.F.)
Ce Pierrot n’a pas imaginé un instant que sa personne allait devenir aussi célèbre bien des siècles plus tard et qu’on le retrouverait , très souvent, associé à des objets ou images publicitaires.
Nombreux ont été les historiens qui se sont penchés sur l’histoire de ce chef-d’œuvre mystérieux, chacun a été de son interprétation, de son commentaire : en effet, on ne sait rien de lui avant son acquisition, juste quelques hypothèses comme celle du bibliothécaire et historien de l’art français Émile Dacier qui pense que ce ce tableau aurait été réalisé pour servir d’enseigne à l’ouverture d’un café, ou celle de la Foire Saint Laurent en 1721 peu de temps après la mort du peintre .
Dora Panofsky, historienne de l’art germano-américaine, de son côté, pensait qu’il s’agissait de la représentation d’une comédie du dramaturge, conteur, juriste et érudit Thomas Simon Guelette. Quant à Paul Mantz, historien de l’art, il affirma dans son roman Watteau, paru en 1895, que ce Pierrot était Pierre François Biancolelli qui avait 37 ans en 1717, date correspondant à réouverture de la Comédie italienne.
Pierrot iconique, personnage captivant du théâtre du XVIIIe siècle, appelé Le Gilles, qui fascine toujours autant celles et ceux qui viennent l’admirer. Pourquoi lui a t-on donné ce nom ? Là encore, les hypothèses sont diverses. En voici quelques-unes : peut-être une filiation un certain Gilles le Niais qui, habillé tout de blanc, inspiré par la Commedia dell’arte, se produisait dans des théâtres de foire vers 1640 … Ou bien en hommage à Saint-Gilles, patron de Valenciennes la ville natale de Watteau … A moins que ce ne soit, comme l’affirmait, Maurice Sand , écrivain français, dans son livre (quasiment un documentaire) « Masques et bouffons de la comédie italienne » , en 1860, un nom emprunté au Giglio, napolitain qui se produisait vers 1701 dans des troupes théâtrales, ou Gille(sans s) qui reprenait le rôle de Pierrot dans les fêtes foraines et était interprété par un certain Maillot.
A qui Watteau a pensé pour la ressemblance de son Pierrot ? Pierre Hédouin (littérateur et critique français) , avait affirmé qu’il avait les traits du curé de Nogent, l’abbé Carreau, qui s’était lié d’amitié avec le peintre , et qui sera à ses côtés lorsqu’il mourra pour lui administrer les derniers sacrements. Watteau aurait, d’ailleurs, donné son visage à plusieurs personnages de ses tableaux. Cette affirmation a été rejetée par d’autres biographes.
L’expo du Louvre évoque , comme je l’ai dit, les différentes étapes de la restauration de la toile, mais aussi sur son image toujours aussi forte que mystérieuse qui a été une grande source d’inspiration pour les écrivains et les poètes (Gautier, Verlaine, Baudelaire, les Frères Goncourt) , le théâtre (Mime Marceau), sans oublier la photographie (Nadar) , les peintres d’une autre époque (Derain, Ensor, Rouault, Picasso, Whistler, Manet, Courbet, Gris etc…) , voire même le cinéma avec Marcel Carné. Dans ce dernier domaine, chacun a donné sa vision personnelle, tendre, tragique, comique, énigmatique.
Sans oublier Fragonard qui, inspiré par le maître de Valenciennes, donnera à Pierrot les traits d’un jeune enfant, ou ceux qui furent des proches de Watteau comme Nicolas Lancret ou Jean-Baptiste Pater.








C’est Dominique Vivant-Denon, collectionneur et directeur du Louvre à une époque, qui le trouve, tout à fait par hasard, chez un brocanteur tenant boutique Place du Carrousel à Paris. Pour que quelqu’un veuille bien acheter ce tableau, qui ne trouvait pas vraiment d’acquéreur, il avait écrit Pierrot serait content si il avait l’air de vous plaire !
Eh bien Mr Vivant-Denon ne sera pas insensible à cette demande et il va l’acheter en 1804. Nul ne sait vraiment à quel prix exactement il a pu l’avoir, car cela diffère selon les historiens qui en parlent. Disons une fourchette entre 150 et 350 francs de l’époque.
A la mort de cet acheteur, c’est son neveu Jean Brunet-Denon qui mettra aux enchères toute la collection de son oncle, mais gardera pour lui Pierrot qu’il achètera 650 francs. Il le revendra, par la suite, à un marquis en 1845. Ce dernier le revendra à un médecin, le docteur Louis la Caze pour 16.000 francs. C’est lui qui le lèguera au Louvre en 1869 avec sa collection personnelle de tableaux.
Le peintre est Jean-Antoine Watteau né en octobre 1684 à Valenciennes et qui mourra en 1721. Il débutera comme apprenti graveur et décorateur dans l’atelier de Claude Gillot où il va développer son attirance pour la caricature. Sa brillante carrière lui permettra d’acquérir une renommée internationale, une fortune assez conséquente et être considéré comme le porte-drapeau du goût français en Europe au XVIIIe siècle. Watteau sera l’inventeur des Fêtes galantes » , des sentiments amoureux, un peintre de l’instant auréolé de délicatesse, mélancolie, sincérité, bonheur, tendresse, sensualité.

Son Gilles fait partie d’un autre sujet qui a beaucoup plu à Watteau, à savoir La commedia dell’arte. Il a peint de nombreux tableaux où il reprend divers personnages se référant à ces comédies populaires italiennes. Le Pierrot (Pedrolino) est un des personnages importants. De base, c’est un bouffon plutôt gai, malicieux, peureux. Celui de Watteau sur le tableau du début de cet article, apparait le visage enfariné , comme un peu gauche, maladroit, les bras ballant, avec un habit bien trop grand pour lui, des manches en tire-bouchon, semblant perdu , presque triste, malgré qu’il soit entouré.
Quelques-autres tableaux de l’expo – Signés Watteau :










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