
« La vie me semble être une chose atroce . Heureusement au dessus de tout cela reste la question d’art et sur celle-là je suis tranquille. » G.C.
Il y a 130 ans, en 1894, s’éteignait l’un de nos merveilleux peintres français aux compositions subtiles, aux tableaux tellement réalistes, intenses et émotionnels, un bourgeois non conformiste qui a aimé peindre la société de son temps, celle réunissant différents types sociaux dans un Paris en plein bouleversements : Gustave Caillebotte. C’est aussi l’année où il lèguera à l’État français sa très belle collection de tableaux impressionnistes. Il était donc impossible de passer à côté de ces anniversaires. D’où la magnifique exposition organisée par le Musée d’Orsay.
Elle s’intitule CAILLEBOTTE – Peindre les hommes (jusqu’au 19.1.2025) et présente les peintures léguées à l’État français à sa mort. Elle se tiendra du 25.2.2025 au 25.5.2025 au J.Paul Getty Museum de Los Angeles, puis à l’Art Institute de Chicago du 29.6.2025 au 5.10.2025.



Caillebotte avait rédigé, 18 ans avant sa mort, en novembre 1876, le lendemain du décès de son frère René, un testament dans lequel il souhaitait que l’intégralité de sa collection soit léguée à l’État français. L’exécuteur testamentaire sera Renoir. Avec les héritiers, ce dernier négociera le legs. Il aura fort à faire : l’État refusait, au départ, la collection dotée d’un grand nombre de tableaux signés Renoir, Pissarro, Sisley, Degas, Monet, Manet et Cézanne. Les tractations vont durer trois ans avant que l’administration des Beaux Arts ne prenne une décision. Le résultat sera le suivant : sur les 67 tableaux légués, une quarantaine seront acceptés et placés au Musée du Luxembourg, puis au Louvre en 1929. Le reste de la collection (une trentaine) est revenue à son frère Martial et autres héritiers, leur laissant donc le choix de les revendre.
»Je donne à l’État les tableaux que je possède. Seulement, comme je veux que ce dont soit accepté et le soit de telle façon que les tableaux n’aillent ni dans un grenier, ni dans un musée de province, mais bien au Luxembourg et plus tard au Louvre, il est nécessaire que s’écoule un certain temps avant l’exécution de cette clause jusqu’à ce que le public, je ne dis pas comprenne, mais admette cette peinture. Ce temps, peut-être vingt ans au plus. En attendant, mon frère Martial et à son défaut un autre de mes héritiers, les conservera. Je prie Renoir d’être mon exécuteur testamentaire. » G.C.
L’exposition de cet automne 2024, a été motivée également par les acquisitions, ces dernières années, de deux tableaux de Caillebotte Jeune homme à sa fenêtre par le Getty Museum, et Partie de bateau par le Musée d’Orsay, lesquels se tiendront aux côtés de Rue de Paris, temps de pluie prêté par l’Art Institut de Chicago. Ce sont chefs-œuvres qui sont présentés, mais aussi des pastels, photographies et documents divers.



« Enfin, je nommerai M. Caillebotte, un jeune peintre du plus beau courage et qui ne recule pas devant les sujets modernes grandeur nature. Sa Rue de Paris par un temps de pluie montre des passants, surtout un monsieur et une dame au premier plan qui sont d’une belle vérité. Lorsque son talent se sera un peu assoupli encore, M. Caillebotte sera certainement un des plus hardis du groupe ». Émile ZOLA en 1877, pour le tableau ci-dessus, dans ses Notes parisiennes, une exposition : les peintres impressionnistes
Pourquoi ce titre : Peindre les hommes ? Il faut savoir qu’il est le seul, dans le groupe des impressionnistes, à avoir peint, en majorité, ce sujet. Comme l’a expliqué le directeur des collections du Musée d’Orsay « la femme, dans son œuvres, a été secondaire, mais il les peint en établissant avec les hommes, une proximité et une intimité évidente. »


Les figures masculines sont très présentes dans ses tableaux. Elles sont issues de toutes classes sociales : les hommes de sa famille, ses amis proches souvent des célibataires comme lui , des amis chez les impressionnistes, quelques militaires côtoyés durant la guerre franco-prussienne, mais aussi des jardiniers, des ouvriers dans la rue ou réparant dans une maison, des hommes dans leur appartement qui se réunissent autour d’ une partie de cartes, ou dans un café, des sportifs, notamment ses collègues régatiers.





C’est aussi à la fois une sorte d’interrogation sur la condition masculine de l’époque. Des hommes en mouvement, occupés, actifs, accompagnés parfois, solitaires souvent, nus également, à leur toilette, qui ne ressemblent pas à ceux bien trop parfaits que l’on peut voir dans des tableaux de ce genre et issus d’un autre temps. Les siens sont assez audacieux et très naturels en même temps. Contrairement aux autres, il ne cache pas la nudité masculine.

Il peint en fait ce qu’il connait très bien : le Paris de son époque où se croisent des bourgeois raffinés au style dandy à la mode, des ouvriers, mais aussi les parisiens, ces passants qu’il considère comme ses semblables, dont il se sent très proche.

Il ne fut pas pour autant un célibataire endurci. Il a eu une compagne Charlotte Berthier, de onze ans . Ils n’auront pas d’enfant. A la mort du peintre, elle héritera d’une maison ainsi que d’une belle somme d’argent qu’il souhaita lui laisser.
Caillebotte fut un peintre, collectionneur, mécène, organisateur d’expos, régatier, philatéliste, horticulteur, un artiste passionné, novateur, dessinateur talentueux , un observateur social de son époque, avec une grande maitrise des perspectives (il superposait des calques pour mieux étudier les cadrages de ses tableaux) , un sens aigu de la composition, un réalisme unique et certain. Son œuvre ambitieuse est d’une grande originalité, proche de l’art photographique pourrait-on dire.
Le fait d’avoir été , un jour, rejeté au Salon officiel pour certains de ses tableaux, va le rendre intransigeant, ne souhaitant plus revenir devant leur jugement mais préférant participer à l’organisation d’expositions indépendantes.
Il mourra bien trop tôt, en 1894, avant d’avoir eu le temps d’obtenir la renommée artistique qu’il méritait d’avoir. Il a souffert de ce manque de reconnaissance. Venant d’une famille aisée, il n’a pas eu besoin de vendre ses tableaux pour vivre, cet état plus le fait qu’il s’adonnait à divers loisirs, l’a longtemps fait passer, à tort, pour un amateur. Toutefois, il fut très connu, de son vivant, en tant que mécène et collectionneur et ce à l’échelle internationale. Il a acquis de très nombreuses tableaux de ses amis peintres, d’abord par passion pour la peinture, pour l’admiration qu’il avait envers eux, mais aussi pour les aider financièrement.
Curieusement, il n’a jamais pensé qu’il était un grand peintre, mais il a passionnément aimé la peinture, un art auquel il s’est adonné avec talent, et volonté. La critique ne l’a pas épargné. Il faut savoir qu’il fut oublié en Europe jusqu’au XXe siècle. De nos jours, on le considère comme un très important peintre impressionniste.
Gustave Caillebotte est né en 1848 dans une famille assez aisée. Sa maman Céleste est la fille d’un avocat et petite-fille de notaire. Son papa Martial est issu d’une grande famille normande qui a fait fortune dans le commerce de toile. Ce dernier a été marié trois fois : des deux premières unions il a eu trois fils dont un seul survivra, Alfred qui deviendra prêtre. De son dernier mariage, il aura encore trois fils : Gustave, René et Martial.


Leur situation financière confortable leur permettra d’emménager dans un bel hôtel particulier à Paris. Les garçons feront leurs études au lycée Louis le Grand. Gustave est un élève brillant, souvent récompensé par des prix d’excellence. Par la suite, il fera des études de droit et obtiendra une licence. Toutefois, ses parents le savent, il n’a qu’une passion : le dessin et la peinture. De ce fait, à la fin de son cursus universitaire, il leur fait part de son intention à savoir devenir peintre. On ne l’en dissuadera pas ! Tout au contraire, un atelier sera installé pour lui dans la maison familiale de la rue de Miromesnil.
L’académisme n’a pas été du goût de Caillebotte en peinture. Lui, ce qu’il préférait ce sont les portraits, les paysages, peindre sa famille : son frère au piano, sa mère à la couture dans le jardin, des amis observant la rue depuis le balcon etc…

En parallèle il étudie chez le peintre Léon Bonnat, passe et réussit le concours d’entrée aux Beaux Arts en 1873. Cette année-là, il se rapproche d’un groupe de peintres socialement modestes et avant-gardistes : les impressionnistes, particulièrement de Degas, issu comme lui, d’un milieu aristocratique.
Il ne participera pas à la première expo de 1874, mais celle de l’année suivante. Dès 1876, non seulement il sera là, mais donnera beaucoup de sa personne (et de son argent) pour l’organisation de ces manifestations, négociant les salles, réunissant les peintres, les tableaux, trouvant les fonds nécessaires pour les expos, et essayant, tant bien que mal, de maintenir une certaine cohésion dans le groupe (sans grand résultat ! ) .
C’est d’ailleurs à cette époque qu’il commence à acquérir des tableaux de peintres connaissant des difficultés financières. C’est ainsi que commence sa collection. Comme il se rend souvent à Yerres, il se lie d’amitié avec Claude Monet qui vivait, à l’époque, chez le collectionneur Ernest Hoschedé à Montgeron.
1876 sera une année difficile, non seulement il perd son père, mais son frère cadet René également. Ces drames vont énormément le marquer à un point tel qu’il décide de rédiger son testament. Il n’a que 28 ans. Il se retrouve alors, avec ses autres frères, à la tête d’une importante fortune. Il s’installe avec son frère Martial dans un appartement boulevard Haussmann après la vente de la maison de la rue Miromesnil.
Ensemble, avec Martial, ils décident de se lancer dans une grande collection de timbres qui va leur rapporter gros. Pendant que Martial s’adonne à sa passion de la photographie, Gustave continue la sienne pour la peinture, mais approfondit son intérêt pour la navigation. Cette dernière ira crescendo durant les années qui suivront.
En effet, il s’inscrit comme membre du Cercle de voile de Paris en 1876 et fait l’acquisition d’un premier voilier deux ans plus tard. Il est doué, gagne des prix et continuent d’acheter des bateaux dont un, assez conséquent, le Condor , qui, grâce à son mélange de légèreté, rapidité et puissance, lui permettra de surpasser tous les autres candidats dans les courses de voile.



« Les toiles peintes à Yerres sont les pendantes des » paysages parisiens » de Caillebotte. Comme dans ses scènes urbaines, il projette dans ces œuvres sa propre vie avec une insistance qui leur donne une saveur que n’ont pas celles des peintres de genre contemporains » Anne DISTEL (Conservatrice générale honoraire du patrimoine du Musée d’Orsay)
Toutes ces activités ne l’empêchent pas de continuer à peindre, et participer au mouvement impressionniste, et ce, même si il se tient un peu en retrait du fait du temps qu’il passe dans sa maison du Petit Gennevilliers. Il y reçoit souvent ses amis Monet et Renoir, certains autres aussi, et Charlotte qui vit avec lui de temps à autre dans cette maison.
C’est une maison où il aime se retrouver : il jardine, plantant des espèces rares notamment des orchidées, mais aussi des dahlias, des chrysanthèmes qui deviennent les sujets de sa peinture , navigue, participe même à la vie de la commune dont il est conseiller municipal depuis 1888.
Il est mort en 1894 . Il avait pris froid et ne réussira pas à s’en remettre. Il décèdera d’un accident vasculaire cérébral à la suite à une congestion pulmonaire . C’est son demi-frère Alfred qui officiera dans l’église dont il est curé à savoir Notre-Dame-de Lorette.
« Nous venons de perdre un ami sincère que nous pouvons pleurer profondément. Il état bon et généreux, et de surcroît un peintre de talent. » Camille PISSARRO
« S’il avait vécu au lieu de mourir prématurément, il aurait bénéficié du même retour que nous autres car il était plein de talent et il n’était, quand nous l’avons perdu, qu’au début de sa carrière. » Claude MONET





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