Plumes pointes palettes et partitions

« Avec une composition rigoureuse, chaque grain de couleur se trouve au bon endroit. Dans une constellation inaltérable, ces couleurs se tiennent telles les étoiles dans le ciel dans leur constellation stellaire et se saluent. Comme des accords musicaux sonnant en parfaite harmonie, dans une interaction coloristique.  » Harriet BACKER

 » La caractéristique majeure de son art est d’être rigoureusement limité quant au nombre de motifs. Pourtant, même ainsi, il est profond, spirituel, formellement et chromatiquement magistral !  » Carl Willie SCHNITLER (Historien de l’art)

Le Musée d’Orsay a souhaité mettre à l’honneur une figure majeure de la peinture norvégienne, méconnue en France, au travers d’une fort belle rétrospective intitulée :  » Harriet BACKER – La musique des couleurs (jusqu’au 12.1.2025., une artiste, membre fondateur du mouvement norvégien national romantique, vivement soutenue par le peintre Edvard Munch et le mécène de ce dernier , le collectionneur Rasmus Meyer. Une perfectionniste, peintre réputée par la richesse de ses couleurs, son sens du détail, ses intérieurs intimistes, ses portraits , ses natures-mortes, ses paysages extérieurs.

 » J’ai beau me promettre d’arrêter de peindre des intérieurs, dès que j’entre dans un endroit où il y a des meubles de ferme ou des murs brillants dans des tons bleus ou rouge, où la lumière pénètre par la fenêtre sur la porte ouverte, je me retrouve devant une toile !  » … H.B.

Une femme de caractère, déterminée, passionnée, indépendante, dotée d’une grande sensibilité. Une féministe qui a beaucoup défendu le droit au vote des femmes, s’exprimant souvent à ce sujet, mais surtout en servant au mieux leur cause en les représentant, de façon toujours bienveillante, dans sa peinture.

 » L’une des choses qui m’a le plus émue est la compassion profonde à l’égard des femmes qui transparaissait à la fois dans le choix des motifs et dans les compositions picturales de Backer.  » Carl Willie SCHNITLER (Historien de l’art)

Elle ne s’est jamais mariée car persuadée qu’elle aurait été contrainte d’abandonner sa passion pour son art. Très fidèle en amitié, elle a entretenu un lien assez fort avec la peintre Kitty Kielland, laquelle ne cessera jamais de lui prodiguer des conseils, l’encourager pour qu’elle persévère dans sa vocation. Elles se respectaient et s’admiraient beaucoup mutuellement. Leur grande proximité et le fait qu’elles aient vécu un temps ensemble (à Paris) a alimenté le doute qui planait sur elles à savoir des sentiments autres qu’une amitié sincère. Toutefois, rien n’est jamais venu le confirmer.

 » Pour les autres, nous nous sommes transformées en une seule personne, de sorte qu’ils nous mélangent généralement. Nous sommes comme une entreprise , comme Steen et Strom, les gens la connaissent mais il ne savent pas qui est Steen et qui est Strom  » Kitty KIELLAND

Ses amies que ce soit Kitty Kielland, Asta Norregaard, Hildegard Thorell ou Jeanna Bauck, ont toutes été des peintres libres, déterminées, engagées, souhaitant montrer qu’elles étaient à même d’avoir autant de talent que pouvait en avoir un artiste masculin. Elles se sont soutenues, inspirées mutuellement dans leur art.

Elle bénéficie d’une grande renommée dans son pays natale, la Norvège. Avant d’en arriver à, elle a dû traverser une époque où il était très difficile, voire même quasi impossible, de s’imposer en tant qu’artiste femme. Elle y arrivera, réussira à gagner le respect des hommes de sa profession, et deviendra même la seule femme au conseil d’administration et comité d’acquisition de la Galerie nationale de Norvège durant près de vingt ans.

Méconnue en France certes, et pourtant notre pays a eu une grande importance dans sa carrière : elle s’est installée à Paris en 1878 pour y intégrer l’Académie de Madame Trélat de Vigny, une des rares institutions qui accueillaient des femmes au sein de son établissement. Ses professeurs seront alors Jean Léon Gérôme, Jules-Bastien Lepage et Léon Bonnat.

Paris fut aussi pour elle un changement de style dans son art. Deux ans après son arrivée dans la capitale française, elle a exposé au Salon organisé par l’École des Beaux Arts où elle a reçu les félicitations du jury et un diplôme obtenu avec mention. C’est à partir de là que sa reconnaissance artistique a commencé, une reconnaissance qui évoluera de façon importante tout au long de sa carrière, même si personnellement elle n’a jamais cherché la notoriété.

De plus, la façon dont elle a exploré les variations atmosphériques au gré des saison, les couleurs transformées par la lumière , les reflets dans l’eau, font penser aux impressionnistes, un mouvement qu’elle a beaucoup aimé : « l’impressionnisme avec ses plus grands maîtres, a renforcé ma foi . » Elle admire particulièrement Monet et du reste, tout comme lui, elle peindra des séries.

 » Monet est vraiment le maître de ce mouvement artistique. Il y a tant de lumière , de distance, et d’effets décoratifs dans ses peintures …  » H.B.

Elle recevra de nombreuses distinctions et prix que ce soit en France ou en Norvège. Elle ouvrira une école ( mixte ) de peinture en 1892 (ouverte jusqu’en 1910) à Oslo (anciennement Kristiana) où elle formera des artistes qui deviendront des grands peintres comme Nikolai Astrup, Helga Ring Reusch notamment. Tous ses élèves ont gardé d’elle le souvenir d’un professeur très à l’écoule, ouverte aux idées nouvelles dans le domaine de l’art.

Harriet est née en 1845 à Holmestrand (Norvège), fille d’un homme d’affaires et armateur. Elle a trois sœurs Agathe, Inga et Margrethe . La première qui deviendra une célèbre pianiste et compositrice . Toutes deux ont eu une grande chance, c’est que leurs parents ont vivement encouragé leurs talents artistiques. C’était assez rare à l’époque. En effet, les filles devaient plutôt se contenter de faire de la broderie ou autre.

Pour Harriet Backer ce sera la dessin lorsqu’elle était très jeune, et la peinture plus tard. Elle a un réel talent. Pourtant elle ne commencera des études artistiques qu’en 1874 auprès de Johann Fredrik Eckersberg (paysagiste) d’abord. Puis elle se rend en Allemagne, à Munich, et intègre une école d’art où elle reçoit un enseignement académique . Sa spécialité ce sont surtout les intérieurs.

Des intérieurs de maisons bourgeoises mais aussi ceux des fermes dans le monde rural. C’est un sujet qui lui parle. Elle a un don particulier : celui de savoir capter, de façon très subtile et poétique, les atmosphères qui s’en dégagent. Elle y fait entrer la lumière que ce soit celle naturelle de l’extérieur par une fenêtre, ou artificielle, et joue avec l’une ou l’autre.

Dans ces intérieurs, il y a souvent des femmes. On y retrouve aussi des objets, des natures-mortes sur lesquelles on s’attarde parce qu’il s’en dégage beauté, sérénité, et poésie.

En 1888, elle quitte la France et retourne en Norvège. Elle va alors centrer sa peinture sur des intérieurs d’église. Là encore elle aime à reproduire les jeux de lumière du soleil qui pénètre dans ces lieux et qui amènent à une certaine méditation et beaucoup de spiritualité. Ce sont souvent des églises très anciennes dans lesquelles elle fait parfois le choix de s’installer durant quelques jours, assistant à des rituels comme le baptême ou la Sainte communion.

La musique a tenu un rôle important, une place centrale dans sa vie. Chopin, Beethoven et Liszt ont bercé son enfance. Elle joue fort bien du piano et d’ailleurs, plus tard lorsqu’elle vivra à Paris, elle organisera souvent des soirées musicales avec ses amis(ies) mélomanes. Mais son amour pour la musique va bien au-delà de tout cela. Cet art représente pour elle une inspiration , des émotions profondes pour sa peinture (une musique pour l’œil comme elle aime à le répéter). Les touches et les rythmes du piano lui inspirent des couleurs, des harmonies.

Elle meurt en 1932 en son domicile. Sept ans plus tôt elle recevra une haute distinction dans son pays à savoir Chevalier de l’ordre de Saint Olav.

En septembre 2024 et en avant première , la reine Sonja de Norvège a fait le déplacement pour assister à cette exposition dans le cadre des visites culturelles.