Giovanni STRAZZA – Buste en marbre datant environ de 1850. Strazza était un sculpteur lombard qui a toujours eu pour but d’amener son art à une perfection imitant le réel.

 » Quand je regarde cette œuvre de Strazza, je ne peux quand même oublier qu’il s’agit d’une sculpture religieuse. Je ne sais pas grand chose de l’œuvre. Je pense, malgré tout, que c’est la Vierge Marie, même si on pourrait aussi penser qu’il s’agit d’une vierge, la virginité étant toujours un gage de spiritualité et de pureté. Qu’il s’agisse de la Vierge Marie ou d’une vierge, comme étaient vierges par exemple les vestales, il y a l’idée d’une pureté, d’un rapport au divin qui n’est pas entaché par la sensualité et la sexualité.

La première chose qui frappe quand on regarde ce visage, c’est l’ambiguïté entre un souci de figurer la spiritualité par des yeux fermés, par ce qu’on devine d’émotion contenue, et le contraire qui est cette perturbation par les degrés divers de l’épaisseur du voile qui créé comme une sorte de vague, de mouvance qui brouille l’image.

C’est une très caractéristique d’une tradition italienne qui remonte plutôt au XVIIIe siècle, et plus particulièrement à la tradition napolitaine qui consiste à travailler, tailler de manière virtuose le marbre, et à jouer sur l’ambiguïté entre ce qui est révélé de la figure humaine et ce qui est dissimulé au regard. Si on veut vraiment en faire l’archéologie, c’est la tradition du drapé mouillé que l’on trouvait déjà dans la sculpture grecque hellénistique. C’est un défi que se jettent les sculpteurs depuis toujours car c’est une façon de travailler sur la figure humaine, la précision de son rendu anatomique, et sur son dévoilement au regard qui est un jeu perpétuel de dissimulation et de révélation.

La virtuosité produit toujours son effet, et c’est bien normal. Ce qui est beaucoup commenté, c’est la perfection de la maîtrise technique, et elle est incontestable. Il y a un travail de taille, et c’est vrai qu’il est effectué avec une virtuosité fascinante. Là aussi il y a un effet de contraste : le marbre est un matériau dur, qui résiste au ciseau, à la taille, et il semble ici d’une souplesse et d’une légèreté qui créent un paradoxe. À mon avis, la raison de la fascination c’est la combinaison de tous ces paradoxes, toutes ces ambiguïtés, entre force et fragilité, pureté et sensualité.

Au milieu du XIXe siècle, c’est quand même le triomphe de ce genre d’œuvre. Il y a un goût extrêmement fort pour l’érotisme en sculpture. Dans toute l’Europe, il y a un triomphe d’un art virtuose que contre l’émergence du réalisme ; et cette sculpture est faite effectivement pour séduire tout public. Il ne faut pas oublier que c’est l’Italie, et qu’à mon avis, plus encore qu’en France, cette esthétique s’inscrit dans la suite de cette tendance napolitaine dont on parlait avec le Christ de Sanmartino, vers une virtuosité extrême, une prouesse technique..

A La Cappella Sansevero à Naples, on peut admirer le Christ voilé un chef d’œuvre datant de 1753, signé Giuseppe SANMARTINO –

Il y a ce Christ voilé, et il y a aussi une Femme voilée d’Antonio Corradini qui donne cette sensation extraordinaire de légèreté fondée sur l’illusion. C’est d’autant plus fort que la sculpture, plus que la peinture, est un art de la vérité. Elle a été pratiquée au service de l’effigie, de la ressemblance, d’une certaine fidélité au modèle. Certains théoriciens du XIXe siècle disaient que la peinture était un art du mensonge. David d’Angers, qui a été un très grand sculpteur de la première moitié du XIXe siècle, disait dans les aphorismes qu’il nous a laissés dans ses carnets : “Je ne veux pas quitter la sculpture pour la peinture, je veux rester attaché à la vérité, et non pas au mensonge.” Là, avec ce type d’œuvre, ce qui est intéressant est de comprendre que ce motif de la draperie mouillée et du voile, sur les visages et les corps, est une façon de jouer de l’ambiguïté. En fait il y a un certain érotisme du voile.

 » Femme voilée  » Antonio CORRADINI (Musée du Louvre)

Le drapé est une tradition dans la sculpture, mais il peut être pratiqué de façon très différente sur le plan formel. Il y a d’ailleurs une différence entre le drapé et le voilé. Prenons par exemple une sculpture très célèbre, qui est L’Hiver, de Houdon (1783) : c’est une allégorie de l’hiver représenté par une jeune femme, très charmante, dont la partie inférieure du corps est dénudée, mais dont la partie supérieure est enveloppée dans un tissu. Ici il s’agit vraiment d’un drapé. La différence c’est que l’étoffe affecte la forme du nu, considérablement. Il y a une recherche formelle qui se superpose et se substitue à la morphologie du corps féminin.

 » L’hiver  » 1783 Jean-Antoine HOUDON (Musée Favre à Montpellier)

Si on la compare à la Femme voilée de Corranini par exemple, on voit qu’ici la nudité se devine sous le voile. Le voile révèle tout en cachant, il joue avec la coiffure, le visage, alors que le drapé crée une forme qui se substitue. Évidemment, le drapé est une technique que l’on retrouve dans toute l’histoire de la sculpture, depuis la Vierge noire d’Orcival, vers 1170, jusqu’au Balzac de Rodin, en 1898. Pour résumer : la figure humaine, qui est de toute façon le sujet fondamental de la sculpture, n’est pas toujours traitée sous la forme du nu. Une des constantes de la représentation du drapé perdure comme une sorte d’alternative au costume contemporain. Le corps humain peut aussi être habillé, et dans ce cas, on va vers la tendance réaliste qui elle aussi s’exprime à travers toute l’histoire de la sculpture. D’une certaine manière, on peut considérer que le drapé relève du sculptural, alors que le voilé est un effet pictural.  « Claire BARBILLON (Directrice de l’École du Louvre, spécialiste de la sculpture du XIXe siècle, auteure de livres se référant à cet art – Propos extraits de l’entretien accordée à la journaliste Hélène COMBIS lors d’une émission sur Radio France)

P.S. : J’ai tenu à joindre, également, à cet article la magnifique sculpture : «  Femme voilée  » ( ou L’Allégorie de la pureté ) d’Antonio CORRADINI – Elle fut réalisée bien avant celle de Strazza, en 1772, et lui ressemble d’ailleurs. On peut admirer cette petite merveille au Palais Ca’Rezzonico à Venise.

6 réponses à « Femme voilée de Giovanni STRAZZA … & autres sculptures »

    1. Avatar de Lisa Pascaretti
      Lisa Pascaretti

      I understand it because it is fascinating and incredible beauty. I am delighted that you enjoyed it and thank you Cindy ♥

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  1. Bonjour,

    La sculpture de Giovanni STRAZZA est au-dessus de tout. C’est un chef d’oeuvre de l’humanité.

    Cordialement.

    M.C

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    1. Avatar de Lisa Pascaretti
      Lisa Pascaretti

      Bonjour Sébastien
      Ce qui est fascinant c’est la transparence du voile reproduite par le marbre. C’est une technique virtuose (le drapé mouillé) magnifique qui nécessite d’avoir une maitrise incroyable pour la réaliser aussi superbement bien . Strazza fait partie de ceux qui avait cette qualité, voire même il les a surpassés par son exécution.
      Merci d’avoir apprécié – Cordialement,
      Lisa

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  2. Una bellezza che ha dello straordinario!!!! 👏👏👏👏👏👏👏👏👏

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    1. Avatar de Lisa Pascaretti
      Lisa Pascaretti

      Non temiamo le parole: è un capolavoro perfetto oggi custodito dalle Suore della Presentazione dell’Arcidiocesi di St. John’s, in Canada. La finezza del velo è un’impresa! Dovevi essere dannatamente bravo per farlo. È una scultura che trasuda leggerezza, serenità, purezza e persino sensualità. Grazie per il tuo commento e il tuo apprezzamento Massimo ♥

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